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les tribulations d’un chinois en chine

peut-être aussi à la singularité de leurs théories, le lecteur a deviné qu’il s’agissait de Chinois, non de ces « Célestials » qui semblent avoir été décollés d’un paravent ou être en rupture de potiche, mais de ces modernes habitants du Céleste Empire, déjà « européennisés » par leurs études, leurs voyages, leurs fréquentes communications avec les civilisés de l’Occident.

En effet, c’était dans le salon d’un des bateaux-fleurs de la rivière des Perles, à Canton, que le riche Kin-Fo, accompagné de l’inséparable Wang, le philosophe, venait de traiter quatre des meilleurs amis de sa jeunesse, Pao-Shen, un mandarin de quatrième classe à bouton bleu, Yin-Pang, riche négociant en soieries de la rue des Pharmaciens, Tim le viveur endurci et Houal le lettré.

Et cela se passait le vingt-septième jour de la quatrième lune, pendant la première de ces cinq veilles, qui se partagent si poétiquement les heures de la nuit chinoise.




CHAPITRE II

dans lequel kin-fo et le philosophe wang sont posés d’une façon plus nette.


Si Kin-Fo avait donné ce dîner d’adieu à ses amis de Canton, c’est que c’était dans cette capitale de la province de Kouang-Tong qu’il avait passé une partie de son adolescence. Des nombreux camarades que doit compter un jeune homme riche et généreux, les quatre invités du bateau-fleurs étaient les seuls qui lui restassent à cette époque. Quant aux autres, dispersés aux hasards de la vie, il eût vainement cherché à les réunir.

Kin-Fo habitait alors Shang-Haï, et, pour faire changer d’air à son ennui, il était venu le promener pendant quelques jours à Canton. Mais, ce soir même, il devait prendre le steamer qui fait escale aux points principaux de la côte et revenir tranquillement à son yamen.

Si Wang avait accompagné Kin-Fo, c’est que le philosophe ne quittait jamais son élève, auquel les leçons ne manquaient pas. À vrai dire, celui-ci n’en tenait aucun compte. Autant de maximes et de sentences perdues ; mais la « machine