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qui ne finit pas bien.

fréquentaient jour et nuit les abords de la côte. Les chances d’être recueillis s’accroîtraient donc dans une assez grande proportion. Si, au contraire, le vent fût venu de l’ouest, et si la Sam-Yep avait été emportée plus au sud que le littoral de la Corée, Kin-Fo et ses compagnons n’auraient eu aucune chance de salut. Devant eux se fût étendue l’immense mer, et, au cas où les côtes du Japon les eussent reçus, ce n’aurait été qu’à l’état de cadavres, flottant dans leur insubmersible gaine de caoutchouc.

Mais, ainsi qu’il a été dit, cette brise devait probablement tomber au lever du soleil, et il fallait l’utiliser pour se mettre prudemment hors de vue.

Il était environ dix heures du soir. La lune devait apparaître au-dessus de l’horizon un peu avant minuit. Il n’y avait donc pas un instant à perdre.

« À la voile ! » dirent Fry-Craig.

L’appareillage se fit aussitôt. Rien de plus facile, en somme. Chaque semelle du pied droit de l’appareil portait une douille, destinée à former l’emplanture du bâton, qui servait de mâtereau.

Kin-Fo, Soun, les deux agents s’étendirent d’abord sur le dos ; puis, ils ramenèrent leur pied en pliant le genou, et plantèrent le bâton dans la douille, après avoir préalablement passé à son extrémité la drisse de la petite voile. Dès qu’ils eurent repris la position horizontale, le bâton, faisant un angle droit avec la ligne du corps, se redressa verticalement.

« Hisse ! » dirent Fry-Craig.

Et chacun, pesant de la main droite sur la drisse, hissa au bout du mâtereau l’angle supérieur de la voile, qui était taillée en triangle.

La drisse fut amarrée à la ceinture métallique, l’écoute tenue à la main, et la brise, gonflant les quatre focs, emporta au milieu d’un léger remous la petite flottille de scaphandres.

Ces « hommes-barques » ne méritaient-ils pas ce nom de scaphandres plus justement que les travailleurs sous-marins, auxquels il est ordinairement et improprement appliqué ?

Dix minutes après, chacun d’eux manœuvrait avec une sûreté et une facilité parfaites. Ils voguaient de conserve, sans s’écarter les uns des autres. On eût dit une troupe d’énormes goélands, qui, l’aile tendue à la brise, glissaient légèrement à la surface des eaux.

Cette navigation était très favorisée, d’ailleurs, par l’état de la mer. Pas une lame ne troublait la longue et calme ondulation de sa surface, ni clapotis ni ressac.