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les tribulations d’un chinois en chine

de regarder s’il ne se trouvait pas en présence de quelque indiscret phonographe. L’aventure de Nan le rendait quelque peu prudent.

Kin-Fo avait eu le plaisir de retrouver à Péking deux de ses amis de Canton, le négociant Yin-Pang et le lettré Houal. D’autre part, il connaissait quelques fonctionnaires et commerçants de la capitale, et tous se firent un devoir de l’assister dans ces grandes circonstances.

Il était vraiment heureux, maintenant, l’indifférent d’autrefois, l’impassible élève du philosophe Wang ! Deux mois de soucis, d’inquiétudes, de tracas, toute cette période mouvementée de son existence avait suffi à lui faire apprécier ce qu’est, ce que doit être, ce que peut être le bonheur ici-bas. Oui ! le sage philosophe avait raison ! Que n’était-il là pour constater une fois de plus l’excellence de sa doctrine !

Kin-Fo passait près de la jeune femme tout le temps qu’il ne consacrait pas aux préparatifs de la cérémonie. Lé-ou était heureuse, du moment que son ami était près d’elle. Qu’avait-il besoin de mettre à contribution les plus riches magasins de la capitale pour la combler de cadeaux magnifiques ? Elle ne songeait qu’à lui, et se répétait les sages maximes de la célèbre Pan-Hoei-Pan :

« Si une femme a un mari selon son cœur, c’est pour toute sa vie !

« La femme doit avoir un respect sans bornes pour celui dont elle porte le nom et une attention continuelle sur elle-même.

« La femme doit être dans la maison comme une pure ombre et un simple écho.

« L’époux est le ciel de l’épouse. »

Cependant, les préparatifs de cette fête du mariage, que Kin-Fo voulait splendide, avançaient.

Déjà les trente paires de souliers brodés qu’exige le trousseau d’une Chinoise, étaient rangées dans l’habitation de l’avenue de Cha-Coua. Les confiseries de la maison Sinuyane, confitures, fruits secs, pralines, sucres d’orge, sirops de prunelles, oranges, gingembres et pamplemousses, les superbes étoffes de soie, les joyaux de pierres précieuses et d’or finement ciselé, bagues, bracelets, étuis à ongles, aiguilles de tête, etc., toutes les fantaisies charmantes de la bijouterie pékinoise s’entassaient dans le boudoir de Lé-ou.

En cet étrange Empire du Milieu, lorsqu’une jeune fille se marie, elle n’apporte aucune dot. Elle est véritablement achetée par les parents du mari ou par le mari lui-même, et, à défaut de frères, elle ne peut hériter d’une