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kin-fo, ses deux acolytes et son valet.

Après Guan-Lo-Fou, ce furent deux cités bâties en face l’une de l’autre, la ville commerçante de Fan-Tcheng, sur la rive gauche, et la préfecture de Siang-Yang-Fou, sur la rive droite ; la première, faubourg plein du mouvement de la population et de l’agitation des affaires ; la seconde, résidence des autorités et plus morte que vivante.

Et après Fan-Tcheng, le Ran-Kiang, remontant droit au nord par un angle brusque, resta encore navigable jusqu’à Lao-Ro-Kéou. Mais, faute d’eau, le steamboat ne pouvait aller plus loin.

Ce fut tout autre chose alors. À partir de cette dernière étape, les conditions du voyage durent être modifiées. Il fallait abandonner les cours d’eau, « ces chemins qui marchent », et marcher soi-même, ou, tout au moins, substituer au moelleux glissement d’un bateau les secousses, les cahots, les heurts des déplorables véhicules en usage dans le Céleste Empire. Infortuné Soun ! La série des tracas, des fatigues, des reproches, allait donc recommencer pour lui !

Et, en effet, qui eût suivi Kin-Fo dans cette fantaisiste pérégrination, de province en province, de ville en ville, aurait eu fort à faire ! Un jour, il voyageait en voiture, mais quelle voiture ! une caisse durement fixée sur l’essieu de deux roues à gros clous de fer, traînée par deux mules rétives, bâchée d’une simple toile que transperçaient également les jets, la pluie et les rayons solaires ! Un autre jour, on l’apercevait étendu dans une chaise à mulets, sorte de guérite suspendue entre deux longs bambous, et soumise à des mouvements de roulis et de tangage si violents, qu’une barque en eût craqué dans toute sa membrure.

Craig et Fry chevauchaient alors aux portières, comme des aides de camp, sur deux ânes, plus roulants et plus tanguants encore que la chaise. Quant à Soun, en ces occasions où la marche était nécessairement un peu rapide, il allait à pied, grognant, maugréant, se réconfortant plus qu’il ne convenait de fréquentes lampées d’eau-de-vie de Kao-Liang. Lui aussi éprouvait alors des mouvements de roulis particuliers, mais dont la cause ne tenait pas aux inégalités du sol ! En un mot, la petite troupe n’eût pas été plus secouée sur une mer houleuse.

Ce fut à cheval — de mauvais chevaux, on peut le croire — que Kin-Fo et ses compagnons firent leur entrée à Si-Gnan-Fou, l’ancienne capitale de l’Empire du Milieu, dont les empereurs de la dynastie des Tang faisaient autrefois leur résidence.