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des séneçons à tige d’un mètre, et nombre de plantes naines : calcéolaires, cytises rampants, stipes, pimprenelles minuscules en pleine floraison. Le sol était velouté d’une herbe luxuriante capable de nourrir des milliers de ruminants.

La petite troupe des excursionnistes s’était divisée, selon les affinités individuelles, en groupes, autour desquels gambadaient Dick et Sand, qui triplaient par leurs crochets la longueur de la route. Les trois cultivateurs échangeaient des paroles rares en jetant autour d’eux des regards étonnés, tandis que Harry Rhodes et Halg marchaient en compagnie du Kaw-djer. Celui-ci ne se livrait pas et gardait sa réserve habituelle. Cette réserve toutefois ne laissait pas d’être entamée par la sympathie que lui inspirait la famille Rhodes. De cette famille, tous les membres lui plaisaient : la mère, sérieuse et bonne ; les enfants, Edward âgé de dix-huit ans et Clary âgée de quinze ans, aux visages ouverts et francs ; le père, caractère d’une droiture certaine et d’un ferme bon sens.

Les deux hommes causaient amicalement de ce qui les intéressait en ce moment l’un et l’autre. Harry Rhodes profitait de l’occasion pour se renseigner au sujet de la Magellanie. En échange, il documentait son compagnon sur les plus remarquables échantillons de la foule des émigrants. Le Kaw-djer apprit ainsi beaucoup de choses.

Il sut d’abord comment Harry Rhodes, possesseur d’une assez belle fortune, avait été ruiné à cinquante ans par la faute d’autrui, et comment, après ce malheur immérité, il s’était expatrié sans hésitation afin d’assurer, s’il était possible, l’avenir de sa femme et de ses enfants. Il apprit ensuite, Harry Rhodes ayant été à même de puiser ces renseignements dans les documents du bord, que, défalcation faite des morts, les émigrants du Jonathan se décomposaient de la manière suivante, au point de vue des professions antérieures : Sept cent cinquante cultivateurs — parmi lesquels cinq Japonais ! — comprenant cent quatorze hommes mariés accompagnés de leurs cent quatorze femmes et de leurs enfants, dont quelques-uns majeurs, au nombre de deux cent soixante-deux ; trois représentants des professions libérales, cinq ex-rentiers et quarante et un ouvriers de métier. À ces derniers, il convenait d’ajouter quatre autres ouvriers non émigrants, un maçon, un menuisier, un charpentier et un