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lit de récifs. Des tôles, des barres de fer tordues, voilà ce qui restait du beau clipper dont, quelques jours auparavant, l’étrave fendait si allègrement la mer.

Bien que tout ce qui pouvait avoir la moindre valeur eût été retiré alors du navire, ce ne fut pas sans un serrement de cœur que les émigrants constatèrent sa disparition définitive. Ils étaient ainsi isolés et complètement séparés de l’humanité qui, si la chaloupe se perdait en cours de navigation, ignorerait peut-être à jamais leur destin.

À la tempête succéda une période de calme. On en profita pour dénombrer les survivants du naufrage. L’appel nominal, auquel procéda Hartlepool, en s’aidant des listes du bord, montra que la catastrophe avait fait trente et une victimes, dont quinze parmi l’équipage et seize parmi les passagers. Il subsistait onze cent soixante-dix-neuf passagers et dix-neuf des trente-quatre inscrits sur le rôle d’équipage. En ajoutant à ces nombres les deux Fuégiens et leur compagnon, la population de l’île Hoste s’élevait donc à douze cent une personnes des deux sexes et de tout âge.

Le Kaw-djer résolut de mettre le beau temps à profit pour visiter les parties de l’île Hoste les plus voisines du campement. Il fut convenu que Hartlepool, Harry Rhodes, Halg et trois émigrants, Gimelli, Gordon et Ivanoff, d’origine italienne pour le premier, américaine pour le deuxième, russe pour le troisième, l’accompagneraient dans cette excursion. Mais, au dernier moment, il se présenta deux candidats imprévus.

Le Kaw-djer allait à l’endroit fixé pour le rendez-vous, lorsque son attention fut attirée par deux enfants d’une dizaine d’années qui, l’un suivant l’autre, se dirigeaient évidemment de son côté. L’un de ces deux enfants, la mine éveillée, légèrement impertinente même, marchait le nez au vent, en affectant une allure crâne qui ne laissait pas d’être un peu comique. L’autre, suivait à cinq pas, d’un air modeste qui convenait à sa petite figure timide.

Le premier aborda le Kaw-djer.

« Excellence… » dit-il.

À cette appellation imprévue, le Kaw-djer fort amusé considéra le bambin. Celui-ci soutint bravement l’examen, sans se troubler ni baisser les yeux.