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vrance. Avant de partir, il ne serrerait dans ses bras, ni le fidèle Karroly, ni Harry Rhodes son ami, ni Hartlepool ce loyal et dévoué serviteur, ni Halg, ni Dick, ses enfants. À quoi bon cela ? Pour la seconde fois, il s’évadait de l’humanité. Son amour s’amplifiait de nouveau, devenait vaste comme le monde, impersonnel comme celui d’un dieu, et n’avait plus besoin, pour se satisfaire, de ces gestes puérils. Il disparaîtrait sans un mot, sans un signe.

La nuit devint profonde. Comme des paupières que ferme le sommeil, les fenêtres des maisons s’éteignirent une à une. La dernière s’endormit enfin. Tout fut noir.

Le Kaw-djer sortit du Gouvernement et marcha vers le Bourg-Neuf. La route était déserte. Jusqu’au faubourg, il ne rencontra personne.

La Wel-Kiej se balançait près du quai. Il s’y embarqua et largua l’amarre. Au milieu du port, il distinguait la masse sombre du vaisseau chilien, à bord duquel un timonier piquait minuit au même instant. Détournant la tête, le Kaw-djer poussa au large et hissa la voile.

La Wel-Kiej prit son erre, évolua, sortit des jetées. Là, son allure s’accéléra sous l’effort d’une fraîche brise du Nord-Ouest. Le Kaw-djer pensif tenait la barre, en écoutant la chanson de l’eau contre le bordage.

Quand il voulut jeter un regard en arrière, il était trop tard. La pièce était jouée, le rideau tiré. Le Bourg-Neuf, Libéria, l’île Hoste avaient disparu dans la nuit. Tout s’évanouissait déjà dans le passé.