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officiel et avoué ? Une garnison opprime aussi aisément qu’elle protège. Celle que vous avez mission de placer ici ne pourrait-elle pas aider puissamment le Chili, s’il en arrivait jamais à regretter le traité du 26 octobre 1881, auquel nous devons notre indépendance ?

L’officier rougit de nouveau et plus visiblement que la première fois.

— Il ne m’appartient pas, dit-il, de discuter les ordres de mes chefs. Mon seul devoir est de les exécuter aveuglément.

— En effet, reconnut le Kaw-djer, mais j’ai, moi aussi, à remplir mon devoir, qui se confond avec l’intérêt du peuple placé sous ma garde. Il est donc tout simple que j’entende peser mûrement ce que cet intérêt me commande de faire.

— M’y suis-je opposé ? répliqua l’officier. Soyez sûr, monsieur le Gouverneur, que j’attendrai votre bon plaisir tout le temps qu’il faudra.

— Cela ne suffit pas, dit le Kaw-djer. Il faut encore l’attendre ici.

— Ici ?… Vous me considérez donc comme un prisonnier ?

— Parfaitement, déclara le Kaw-djer.

L’officier chilien haussa les épaules.

— Vous oubliez, s’écria-t-il en faisant un pas vers la fenêtre, qu’il me suffirait d’un cri d’appel…

— Essayez !… interrompit le Kaw-djer qui lui barra le passage.

— Qui m’en empêcherait ?

— Moi.

Les yeux dans les yeux, les deux hommes se regardèrent comme des lutteurs prêts à en venir aux mains. Après un long moment d’attente, ce fut l’officier chilien qui recula. Il comprit que, malgré sa jeunesse relative, il n’aurait pas raison de ce grand vieillard aux épaules d’athlète, dont l’attitude majestueuse l’impressionnait malgré lui.

— C’est cela, approuva le Kaw-djer. Reprenons chacun notre place, et attendez patiemment ma réponse. »

Tous deux étaient debout. L’officier, à faible distance de la porte d’entrée, s’efforçait d’adopter, en dépit de ses inquiétudes, une contenance dégagée. En face de lui, le Kaw-djer, entre les deux fenêtres, réfléchissait si profondément qu’il en oubliait la