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Plusieurs centaines de Pêcherais, ne pouvant accommoder leurs habitudes nomades aux sévérités de l’administration argentine, quittèrent la Terre de Feu, traversèrent le canal du Beagle et transportèrent leurs campements sur le littoral de l’île Hoste où ils se fixèrent définitivement.

Vers le 15 décembre, les plaies de la colonie étaient, sinon guéries, du moins pansées. Certes, elle avait souffert un profond dommage qui ne serait pas réparé avant plusieurs années, mais déjà il n’en subsistait aucune trace extérieure. Le peuple était retourné à ses occupations coutumières, et la vie normale avait repris son cours.

L’État hostelien fit à cette époque l’acquisition d’un steamer de six cents tonneaux qui reçut le nom de Yacana. Ce steamer permettrait l’établissement d’un service régulier avec les bourgades du littoral et les divers établissements et comptoirs de l’archipel. Il servirait en outre à assurer les communications avec le cap Horn dont le phare venait enfin d’être achevé.

Dans les derniers jours de l’année 1893, le Kaw-djer en avait reçu la nouvelle. Tout était terminé : le logement des gardiens, le magasin de réserve, le pylône de métal haut d’une vingtaine de mètres, le bâtiment et le montage des dynamos, auxquelles un ingénieux dispositif imaginé par Dick transmettait l’énergie des vagues et des marées. Le fonctionnement de ces machines serait ainsi assuré, sans combustible d’aucune sorte. Pour rendre ce fonctionnement éternel, il suffirait de procéder aux réparations nécessaires et d’être bien pourvu de pièces de rechange.

L’inauguration, que le Kaw-djer résolut d’entourer d’une certaine solennité, fut fixée au 15 janvier 1894. Ce jour-là, le Yacana emporterait à l’île Horn deux ou trois cents Hosteliens, devant lesquels jaillirait le premier rayon du phare. Après les tristesses qu’il venait de traverser, le Kaw-djer se faisait une fête de cette inauguration qui réaliserait un de ses rêves, si longtemps caressé.

Tel était le programme, et personne n’imaginait que rien pût en entraver l’exécution, quand, soudainement, brutalement, les événements le modifièrent d’étrange façon.

Le 10 janvier, cinq jours avant la date choisie, un vaisseau de guerre entra dans le port du Bourg-Neuf. À son mât d’artimon flottait le pavillon chilien. De l’une des fenêtres du Gouvernement, le Kaw-djer, qui avait aperçu ce navire entrer dans le port,