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de s’embarquer sur des navires expédiés du Bourg-Neuf, qui croisaient dans ce but en vue de la côte. En quelques jours l’opération fut terminée. Exception faite de ceux dont répondaient Maurice Reynaud et Alexander Smith, et qui étaient d’ailleurs en trop petit nombre pour constituer un sérieux danger, le sol de l’île était purgé du dernier des aventuriers qui l’avaient infestée.

Dans quel état lamentable ne la laissaient-ils pas ! La terre n’avait pas été cultivée, et la prochaine récolte était perdue comme l’avait été la précédente. Abandonnés à eux-mêmes dans les pâturages, beaucoup d’animaux avaient péri. On revenait en somme à plusieurs années en arrière, et, de même que dans les premiers temps de leur indépendance, la famine menaçait les colons de l’île Hoste.

Le Kaw-djer voyait nettement ce danger, mais il n’excédait pas son courage. L’important était de ne pas perdre de temps. Il le comprit, et agit, dans ce but, en dictateur, quelque pénible que ce rôle lui parût.

Comme autrefois, il fallut d’abord grouper toutes les ressources de l’île, afin de les répartir suivant les besoins de chaque famille. Cela ne se fit pas sans provoquer des murmures.

Mais cette mesure s’imposait et on passa outre aux protestations des récalcitrants.

Elle ne devait avoir, d’ailleurs, qu’une durée éphémère. Tandis qu’on procédait au récolement des réserves, des achats étaient effectués dans l’Amérique du Sud, tant pour le compte de l’État que pour celui des particuliers. Un mois plus tard, on débarquait au Bourg-Neuf les premières cargaisons, et la situation commençait dès lors à s’améliorer rapidement.

Grâce à ce bienfaisant despotisme, Libéria et son faubourg ne tardèrent pas à recouvrer leur animation d’autrefois. Le port reçut même, au cours de l’été, des navires en plus grand nombre que jamais. Par une heureuse chance, la pêche de la baleine s’annonça particulièrement fructueuse, cette année-là. Bâtiments américains et norvégiens affluèrent au Bourg-Neuf, et la préparation de l’huile occupa une centaine d’Hosteliens avec des salaires très rémunérateurs. En même temps, une impulsion nouvelle était donnée aux scieries et aux usines de conserves, et le nombre de louvetiers doubla pour la chasse des loups-marins.