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Les assaillants avaient eu une idée diabolique. Ayant enfoncé la porte d’une maison, ils s’étaient emparés de ses habitants, deux jeunes femmes, deux sœurs, qui y vivaient seules avec un petit enfant, le mari de l’une d’elles étant mort au cours de l’hiver précédent. Deux mineurs avaient saisi les femmes, un autre l’enfant, et, chacun avec son fardeau, ils bravaient maintenant le Kaw-djer et sa milice. Qui oserait tirer, alors les premiers coups seraient pour ces créatures innocentes ?

Les deux femmes, terrorisées, s’abandonnaient sans résistance. Quant au bébé, qu’une sorte de brute gigantesque tenait à bout de bras comme pour l’offrir en holocauste, il riait.

Cela dépassait en horreur tout ce que le Kaw-djer eût été capable d’imaginer. L’atroce aventure fit trembler cet homme si fort. Il eut peur. Il pâlit.

C’était l’heure pourtant des décisions promptes. Il fallait prendre d’urgence une résolution. Déjà les mineurs, poussant des vociférations furieuses, avaient fait un pas.

Leur affolement était tel qu’il leur fut impossible d’attendre d’en arriver au corps à corps, dans lequel la supériorité du nombre leur eût assuré la victoire. Ils étaient à vingt mètres de la milice figée dans son attitude de marbre, quand des détonations éclatèrent. Les revolvers faisaient parler la poudre. Un Hostelien tomba.

L’hésitation n’était plus de mise. Dans moins d’une minute on serait débordé, et toute la population de Libéria, hommes, femmes et enfants, serait massacrée sans recours.

« En joue !… » commanda le Kaw-djer qui devint plus pâle encore.

La milice obéit avec la précision d’un exercice d’entraînement. Ensemble, les crosses se haussèrent aux épaules, et les canons se dirigèrent menaçants, vers la foule.

Mais celle-ci était désormais trop affolée pour que la crainte pût l’arrêter. De nouveaux coups de revolvers résonnèrent. Trois autres miliciens furent atteints. Ivre, déchaînée, la foule n’était plus qu’à dix pas. « Feu ! » commanda le Kaw-djer d’une voix rauque. Par leur calme héroïque au milieu de cette longue tourmente, ses hommes venaient de le payer en une fois de tout ce qu’il avait fait pour eux. On était quitte. Mais, s’ils avaient puisé dans