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Kennedy, dont les conseils insidieux n’étaient pas sans avoir contribué à les engager dans cette aventure. C’est par lui qu’ils connaissaient la loi relative aux élections, c’est lui qui leur avait suggéré de réclamer la qualité de citoyens et d’électeurs, en leur affirmant que le Kaw-djer, abandonné de tout le monde, n’aurait pas la force de leur résister. La réalité se montrait différente. Ils se heurtaient à mille fusils, et il semblait juste que celui qui les avait menés là fût exposé aux coups.

L’ancien matelot, qui avait voulu se venger, était le mauvais marchand de cette affaire. Il n’avait plus sa jactance de nabab. Pâle, tremblant, il n’en menait pas large, comme on dit familièrement.

La foule perdant de plus en plus la tête, les injures ne suffirent bientôt plus à satisfaire sa colère grandissante, et il fallut passer aux actes. Des volées de pierres commencèrent à s’abattre sur la milice impassible. Les choses prenaient décidément une mauvaise tournure.

Pendant une heure, cette pluie meurtrière tomba. Plusieurs hommes furent blessés et deux d’entre eux durent quitter le rang. Une pierre atteignit au front le Kaw-djer lui-même. Il chancela, mais se redressant d’un énergique effort, il essuya paisiblement le sang qui rougissait son visage et reprit son attitude d’observateur.

Après une heure de cet exercice qui ne pouvait mener à rien, les assaillants parurent se lasser. Les projectiles devinrent moins nombreux, et on sentait qu’ils allaient cesser de pleuvoir, quand une énorme clameur jaillit tout à coup de la foule. Qu’était-il arrivé ? Le Kaw-djer se haussant sur la pointe des pieds, s’efforça vainement de voir dans les rues avoisinantes. Il ne put y réussir. Au loin, les remous de la foule semblaient plus violents, voilà tout, sans qu’il fût possible d’en discerner la cause.

On ne devait pas tarder à la connaître. Quelques minutes plus tard, trois prospecteurs taillés en hercule, s’ouvrant un passage à coups de coude, venaient se placer en avant de leurs compagnons, comme s’ils eussent voulu montrer qu’ils se riaient des balles. Ils ne les craignaient plus, en effet, car ils portaient devant eux, en guise de boucliers, des otages qui les protégeaient contre elles.