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— La réponse est : non, précisa le Kaw-djer.

Les délégués relevèrent la tête avec ensemble. Des lueurs mauvaises commencèrent à passer dans leurs yeux.

— Pourquoi ? demanda l’un de ceux qui n’avaient pas encore parlé. Il faut une raison aux gentlemen.

Le Kaw-djer garda le silence. Vraiment ! ils étaient osés de lui demander ses raisons. Ne les connaissait-on pas ? La loi, que personne n’avait respectée, ne fixait-elle pas un prix pour la délivrance des concessions ? Bien plus ! cette loi connue de tous ne réservait-elle pas ces concessions aux Hosteliens, et n’interdisait-elle pas à ces gens qui l’avaient audacieusement bravée le territoire hostelien ?

— Pourquoi ? répéta le prospecteur en constatant que sa question restait sans effet.

Puis, la seconde interrogation n’ayant pas plus de succès que la première, il y répondit lui-même.

— La loi ?… dit-il. Eh ! on la connaît, la loi… Mais on n’a qu’à nous naturaliser… La terre est à tout le monde, et nous sommes des hommes comme les autres, peut-être !

Jadis, le Kaw-djer ne se fût pas exprimé différemment. Mais ses idées étaient bien changées maintenant, et il ne comprenait plus ce langage. Non, la terre n’est pas à tout le monde. Elle appartient à ceux qui la défrichent, la cultivent, à ceux dont le travail opiniâtre la transforme en mère nourricière et oblige le sol à tisser le tapis doré des moissons.

— Et puis, reprit le prospecteur barbu, si on parle de loi, il faudrait voir d’abord à la respecter, la loi. Quand ceux qui la fabriquent s’en moquent, qu’est-ce que feront les autres, je le demande ? On est le 3 novembre. Pourquoi qu’il n’y a pas eu d’élection le 1er , puisque le gouvernement a fini son temps ? »

Cette remarque inattendue surprit le Kaw-djer. Qui avait pu renseigner aussi bien ce mineur ? Kennedy, sans doute, qu’on n’avait pas revu à Libéria. L’observation était juste, au surplus. La période qu’il avait fixée quand il s’était volontairement soumis aux suffrages des électeurs était expirée, en effet, et, aux termes de la loi autrefois promulguée par lui-même, on aurait dû procéder deux jours plus tôt à une nouvelle élection. S’il s’en était dispensé, c’est qu’il n’avait pas jugé opportun de compliquer encore une situation déjà si troublée, pour respecter une