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D’abord, ils discutèrent entre eux à grand renfort de gestes et de cris, puis ceux qui se trouvaient en tête firent connaître à Hartlepool qu’ils désiraient parler au Gouverneur. Leur requête transmise de proche en proche obtint un accueil favorable. Le Kaw-djer consentait à recevoir dix délégués.

Ces dix délégués, il fallut les désigner, ce qui motiva une recrudescence de discussions et de clameurs. Enfin ils se présentèrent devant le front de la milice qui ouvrit ses rangs pour les laisser passer. Le mouvement, sur un bref commandement d’Hartlepool, fut exécuté avec une perfection remarquable. De vieux soldats n’eussent pas mieux fait. Les délégués des prospecteurs en furent impressionnés. Ils le furent plus encore, quand, sur un nouveau commandement de son chef, la milice, manœuvrant avec une égale sûreté, referma ses rangs derrière eux.

Le Kaw-djer se tenait debout au centre de la place, dans l’espace restant libre en arrière des troupes. Tandis que les délégués se dirigeaient vers lui, on put les contempler à loisir. Vus de près, leur aspect n’était pas rassurant. Grands, les épaules larges, ils paraissaient robustes, bien que les privations de l’hiver les eussent amaigris. Pour la plupart vêtus de cuir dont une épaisse couche de crasse uniformisait la couleur première, ils avaient des chevelures hirsutes et des barbes touffues qui faisaient ressembler leurs visages à des mufles de fauves. Au fond de leurs orbites caves luisaient des yeux de loups, et ils serraient les poings en marchant.

Le Kaw-djer demeura immobile, sans avancer d’un pas au-devant d’eux, et, quand ils furent arrivés près de lui, il attendit tranquillement qu’ils lui fissent connaître le but de leur démarche.

Mais les délégués des prospecteurs ne se pressaient pas de parler. Ils s’étaient découverts instinctivement en abordant le Kaw-djer, et, rangés en demi-cercle autour de lui, ils se dandinaient gauchement d’une jambe sur l’autre. Leur apparence farouche était trompeuse. Ils semblaient, au contraire, assez petits garçons et fort embarrassés de leur personne, en se voyant isolés de leurs camarades, dans la solitude de cette vaste place, devant cet homme qui les dominait de la tête, à l’attitude grave et froide, et dont la majesté leur en imposait.