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l’heure actuelle, la population de Libéria n’avait pas diminué d’une unité. Personne n’avait eu la pensée d’entamer une troisième campagne de prospection. Pour quelques rares colons servis par un hasard favorable, la plupart étaient revenus ruinés, leur santé compromise, leur avenir à jamais perdu. Et encore, des modestes fortunes récoltées sur les placers, la plus grande part avait été dissipée, ainsi que cela arrive fatalement, dans les cabarets, dans les tripots de bas étage, où les détonations des revolvers se mêlaient aux hurlements des joueurs. Tous se rendaient compte de leur folie et nul n’avait envie de recommencer l’expérience.

Le Kaw-djer disposait donc de la milice au complet. Mille hommes enrégimentés, disciplinés, obéissant à des chefs reconnus, c’est une force sérieuse, et, bien que les adversaires fussent vingt fois plus nombreux, il ne doutait pas de les mettre à la raison. Quelques jours de patience, afin de laisser aux routes détrempées par la fonte des neiges le temps de sécher un peu, et des colonnes sillonneraient l’île, la balayeraient de bout en bout des aventuriers qui l’infestaient…

Ceux-ci le devancèrent. Ce furent eux qui provoquèrent la tragédie rapide et terrible qui décida du sort de l’île.

Le 3 novembre, alors que les chemins étaient encore transformés en marécages, des Hosteliens de la campagne, accourus au galop de leurs chevaux, avertirent le Kaw-djer qu’une colonne, forte d’un millier de chercheurs d’or, marchait contre la ville. Les intentions de ces hommes, on les ignorait, mais elles ne devaient pas être pacifiques, à en juger par leur attitude et par leurs cris menaçants.

Le Kaw-djer prit ses mesures en conséquence. Par son ordre, la milice fut rassemblée devant le gouvernement et barra les rues qui débouchaient sur la place. Puis on attendit les événements.

La colonne annoncée atteignit vers la fin du jour Libéria, où l’écho de ses chants et de ses cris l’avait précédée. Les prospecteurs, qui croyaient surprendre, eurent au contraire la surprise de se heurter à la milice hostelienne rangée en bataille, et leur élan en fut brisé. Ils s’arrêtèrent interdits. Au lieu d’agir à l’improviste, comme tel était leur projet, voilà qu’ils étaient obligés de parlementer !