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désir de se les faire pardonner. Encore un peu de patience, et il disposerait de la force nécessaire pour lutter contre le cancer immonde qui s’était attaqué à son œuvre.

Vers la fin de l’été, l’île Hoste était en fait divisée en deux zones bien distinctes. Dans l’une, la plus grande, cinq mille Hosteliens, hommes, femmes et enfants, revenus à leur vie normale et reprenant peu à peu leurs occupations régulières. Dans l’autre, sur quelques espaces étroits autour des terrains aurifères, vingt mille aventuriers, prêts à tout, et dont l’impunité accroissait l’audace. Ils osaient maintenant venir à Libéria et traitaient la ville en pays conquis. Ils parcouraient insolemment les rues, la tête haute, en faisant résonner leurs talons, et s’appropriaient sans scrupule où ils le trouvaient ce qui était à leur convenance. Si l’intéressé protestait, ils répondaient par des coups.

Mais le jour vint enfin où le Kaw-djer, se sentant assez fort pour entamer la lutte, se résolut à faire un exemple. Ce jour-là, les chercheurs d’or qui s’aventurèrent dans Libéria furent appréhendés et incarcérés, sans autre forme de procès, dans l’unique steamer qui se trouvât alors au Bourg-Neuf, et que le Kaw-djer affréta dans ce but. L’opération fut renouvelée les jours suivants, si bien que, le 15 mars, au moment où le steamer appareilla, il emportait plus de cinq cents de ces passagers involontaires solidement bouclés à fond de cale.

Ces expulsions sommaires eurent leur écho dans l’intérieur et y déchaînèrent de furieuses colères. D’après les nouvelles qu’on en recevait, toute la région aurifère était en fermentation, et on devait s’attendre à une révolte générale. Déjà, il n’y avait plus de sécurité dans aucune partie de l’île. Signes prémonitoires des crimes collectifs, les crimes individuels se multipliaient. Des fermes étaient pillées, des têtes de bétail enlevées. Coup sur coup, à vingt kilomètres de Libéria, trois assassinats furent commis. Puis on apprit que les prospecteurs étrangers se concertaient, qu’ils tenaient des meetings, que, devant des milliers d’auditeurs, des discours d’une incroyable violence étaient prononcés. Les orateurs ne parlaient de rien moins que de marcher sur la capitale et de la détruire de fond en comble. Or, pour les esprits clairvoyants, cela était peu de chose encore. Bientôt les vivres allaient manquer. Quand la faim tenaillerait les entrailles