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aux instructions du Kaw-djer, continuer à gagner vers le Sud, il importait de choisir les passes où la mer serait moins dure. C’est ce qui fut fait en quittant l’île Wollaston. Karroly en contourna la partie occidentale de manière à donner dans le détroit qui sépare l’île Hermitte de l’île Herschell.

Quel but poursuivait le Kaw-djer ? Lorsqu’il aurait atteint les dernières limites de la Terre, lorsqu’il serait arrivé au cap Horn, lorsqu’il ne verrait plus devant lui que l’immense Océan, que ferait-il ?…

Ce fut à cette extrémité de l’archipel que la chaloupe vint relâcher dans l’après-midi du 15 mars, non sans avoir couru les plus grands dangers au milieu d’une mer démontée. Aussitôt le Kaw-djer débarqua. Sans rien dire de ses intentions, ayant renvoyé le chien qui cherchait à le suivre, laissant Karroly et Halg sur la grève, il se dirigea vers le cap.

L’île Horn n’est qu’une agglomération chaotique de roches énormes dont les bois flottés, les laminaires gigantesques, apportés par les courants, jonchent la base. Au-delà, des pointes de récifs piquent de centaines de taches noires la blancheur neigeuse du ressac.

On accède assez facilement au sommet peu élevé du cap par son revers septentrional en pentes très allongées, sur lesquelles se rencontrent quelques parcelles de terre cultivable.

Le Kaw-djer avait entrepris cette ascension.

Qu’allait-il donc faire là-haut ? Voulait-il porter ses regards jusqu’aux limites de l’horizon du Sud ?… Mais qu’y verrait-il, si ce n’est l’immense nappe de la mer ?

La tempête était maintenant à son paroxysme. À mesure qu’il montait, le Kaw-djer était plus furieusement accueilli par le vent déchaîné. Parfois, il lui fallait s’arcbouter pour ne pas être emporté. Les embruns, violemment projetés, lui cinglaient le visage. D’en bas, Halg et Karroly apercevaient sa silhouette graduellement décroissante. Ils voyaient quelle lutte il soutenait contre la rafale.

Cette pénible ascension exigea près d’une heure. Parvenu au point culminant, le Kaw-djer s’avança jusqu’au bord de la falaise, et, là, debout dans la tourmente, il demeura immobile, le regard dirigé vers le Sud.

La nuit commençait à se faire du côté de l’Est, mais l’horizon