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Leurs mines, leurs claims, c’étaient les chasseurs d’or eux-mêmes, d’une exploitation infiniment plus aisée. Sur tous les points de l’île, à l’exception de Libéria où l’on n’eût pas osé braver si ouvertement le Kaw-djer, les cabarets et les tripots pullulaient. On y trouvait jusqu’à des music-halls de bas étage, élevés en pleine campagne à l’aide de quelques planches, où de malheureuses femmes charmaient les mineurs ivres de leurs voix éraillées et de leurs grossiers refrains. Dans ces tripots, dans ces music-halls, dans ces cabarets, l’alcool, ce générateur de toutes les hontes, ruisselait et coulait à pleins bords.

En dépit de si grandes tristesses, le Kaw-djer ne perdait pas courage. Ferme à son poste, centre autour duquel on se réunirait quand, la tourmente passée, il s’agirait de reconstruire, il s’ingéniait à reconquérir la confiance des Hosteliens, qui, lentement, mais sûrement, revenaient à la raison. Rien ne semblait avoir de prise sur lui, et, volontairement aveugle aux défections, il continuait imperturbablement son métier de gouverneur. Il n’avait même pas négligé la construction du phare qui lui tenait si fort à cœur. Par son ordre, Dick fit, au cours de l’été, un voyage d’inspection à l’île Horn. Malgré tout, les travaux, assurément ralentis, n’avaient pas été arrêtés un seul jour. À la fin de l’été, le gros œuvre serait terminé et les machines seraient en place. Un mois suffirait alors pour mener à bien le montage.

Vers le 15 décembre la moitié des Hosteliens étaient rentrés dans le devoir, tandis que s’exaspérait encore l’infernal sabbat de l’intérieur. Ce fut à cette époque que le Kaw-djer reçut une visite inattendue dont les conséquences devaient être des plus heureuses. Deux hommes, un Anglais et un Français, arrivés par le même bateau, se présentèrent ensemble au gouvernement. Immédiatement admis près du Kaw-djer, ils déclinèrent leurs noms, Maurice Reynaud, pour le Français, Alexander Smith, pour l’Anglais, et, sans paroles superflues, firent connaître qu’ils désiraient obtenir une concession.

Le Kaw-djer sourit amèrement.

« Permettez-moi de vous demander, messieurs, dit-il, si vous êtes au courant de ce qui se passe en ce moment sur l’île Hoste ?

— Oui, répondit le Français.

— Mais nous préférons tout de même être en règle, acheva l’Anglais.