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plus intense. Chaque semaine, deux ou trois steamers amenaient leur cargaison de prospecteurs étrangers. Le Kaw-djer avait vainement tenté de s’opposer à leur débarquement. Les aventuriers passant outre à une interdiction que la force n’appuyait pas, débarquaient malgré lui et sillonnaient Libéria de leurs bandes bruyantes avant de se mettre en route pour les placers.

Les navires affectés au transport des chercheurs d’or étaient presque les seuls qu’on aperçût au port du Bourg-Neuf. Que fussent venus faire les autres, en effet ? Les affaires étaient complètement arrêtées. Ils n’eussent pas trouvé à charger. Les stocks de bois de construction et de fourrures avaient été épuisés dès la première semaine. Quant au bétail, aux céréales et aux conserves, le Kaw-djer s’était énergiquement opposé à leur exportation qui eût réduit la population à toutes les horreurs de la famine.

Dès que le Kaw-djer put disposer de deux cents hommes, les envahisseurs de l’île eurent la partie moins belle. Lorsque deux cents baïonnettes appuyèrent les arrêtés du gouverneur, ces arrêtés devinrent du coup respectables et furent respectés. Après avoir essayé vainement d’en faire fléchir la rigueur, les steamers durent reprendre le large avec la détestable cargaison qu’ils avaient apportée.

Mais, ainsi qu’on ne tarda pas à le savoir, leur retraite n’était qu’une ruse. Obligés de céder devant la force, les navires s’élevaient le long de la côte orientale ou occidentale de l’île, et, profitant de l’abri d’une crique, ils débarquaient leur chargement humain en pleine campagne, à l’aide de leurs embarcations. Les brigades volantes que l’on créa pour la surveillance du littoral ne servirent à rien. Elles furent débordées. Ceux qui voulaient mettre pied sur l’île réussissaient toujours à y atterrir, et le flot des aventuriers ne cessa de grossir.

Le désordre atteignait au comble dans l’intérieur. Ce n’étaient qu’orgies et plaisirs crapuleux, coupés de disputes, voire de batailles sanglantes au revolver ou au couteau. Comme les cadavres attirent les hyènes et les vautours des confins de l’horizon, ces milliers d’aventuriers avaient attiré toute une population plus dégradée encore. Ceux qui composaient cette seconde série d’immigrés ne songeaient pas à trimer à la recherche de l’or.