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en abominables folies, et il n’en est rien resté à ces malheureux insensés. »

Le Kaw-djer parlait avec une animation qui montrait la force de sa conviction et la vivacité de ses inquiétudes.

— Et non seulement il y a le danger du dedans, ajouta-t-il, mais il y a le danger du dehors : tous ces aventuriers, tous ces déclassés qui envahissent les pays aurifères, qui les troublent, les bouleversent pour arracher de ses entrailles le métal maudit. Il en accourt de tous les points du monde. C’est une avalanche qui ne laisse que le néant après son passage. Ah ! pourquoi faut-il que notre île soit menacée de pareils désastres !

— Ne pouvons-nous encore espérer ? demanda Harry Rhodes très ému. Si la nouvelle ne s’ébruite pas, nous serons préservés de cette invasion.

— Non, répondit le Kaw-djer, il est déjà trop tard pour empêcher le mal. On ne se figure pas avec quelle rapidité le monde entier apprend que des gisements aurifères viennent d’être découverts dans une contrée quelconque, si lointaine soit-elle. On croirait vraiment que cela se transmet par l’air, que les vents apportent cette peste si contagieuse que les meilleurs et les plus sages en sont atteints et y succombent ! »

Le Conseil fut levé sans qu’aucune décision eût été arrêtée. Et, en vérité, il n’y avait lieu d’en prendre aucune. Comme le Kaw-djer l’avait dit avec raison, on ne lutte pas contre la fièvre de l’or.

Rien, d’ailleurs, n’était perdu encore. Ne pouvait-il se faire, en effet, que le gisement n’eût pas la richesse qu’on lui attribuait de confiance, et que les parcelles d’or fussent disséminées dans un état d’éparpillement tel que toute exploitation fût impossible. Pour être fixé à ce sujet, il fallait attendre la disparition de la neige qui, pendant l’hiver, recouvrait l’île de son manteau glacé.

Au premier souffle du printemps, les craintes du Kaw-djer commencèrent à se réaliser. Dès que le dégel fit son apparition, les colons les plus entreprenants et les plus aventureux se transformèrent en prospecteurs, quittèrent Libéria et partirent à la chasse de l’or. Puisqu’il avait été trouvé au Golden Creek — ainsi fut dénommé le petit ruisseau dont la balle malencontreuse d’Edward Rhodes avait effleuré la berge, — c’est là que