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de conserves avaient donné lieu à un trafic considérable, et le chargement des navires, à l’entrée et à la sortie du port, s’était chiffré par trente-deux mille sept cent soixante-quinze tonnes.

Avec l’hiver, il fallut interrompre les travaux entrepris au cap Horn pour l’érection du phare et la construction des salles où devaient être installées les machines motrices et les dynamos. Ces travaux avaient marché jusqu’alors d’une manière très satisfaisante, malgré l’éloignement de l’île Horn, située à environ soixante-quinze kilomètres de la presqu’île Hardy, et l’obligation de transporter le matériel à travers une mer semée de récifs, que les tempêtes de l’hiver allaient rendre impraticable.

Si la mauvaise saison amena, comme de coutume, nombre de coups de vent et des tourmentes de grande violence, elle ne provoqua pas de froids excessifs, et, même en juillet, la température ne dépassa pas dix degrés sous zéro.

Les habitants de Libéria ne redoutaient plus alors le froid ni les intempéries, l’aisance générale ayant permis à toutes les familles de s’installer confortablement. Il n’y avait pas de misère sur l’île Hoste, et les crimes contre les personnes ou les propriétés n’y avaient jamais troublé l’ordre public. On n’y connaissait que de rares contestations civiles, transigées en général avant même d’arriver au Tribunal.

Il semblait donc qu’aucun trouble n’eût menacé la colonie, sans cette découverte d’un gisement aurifère, dont les conséquences, étant donné l’avidité humaine, pouvaient être extrêmement graves.

Le Kaw-djer ne s’y était pas trompé. La nouvelle lui avait fait concevoir les plus sombres pronostics, et la réflexion les assombrit encore. À la première réunion du Conseil, il ne cacha pas ses craintes.

« Ainsi, dit-il, c’est au moment où notre œuvre est achevée, lorsque nous n’avons plus qu’à recueillir le fruit de nos efforts, que le hasard, un hasard maudit, jette parmi nous ce ferment de troubles et de ruines…

— Notre ami va trop loin, intervint Harry Rhodes, qui considérait l’événement d’une manière moins pessimiste. Que la découverte de l’or soit une cause de troubles, c’est possible, mais de ruines !…