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entre eux que celui-ci avait repris possession de son terrain, qu’il en avait relevé la clôture, et qu’il avait demandé enfin à y être exclusivement de garde.

La preuve de cette criminelle entente, les Patagons eux-mêmes l’avaient donnée en abordant dans l’enclos, et l’or saisi sur Patterson en donnait une autre preuve plus forte encore. Pouvait-il indiquer, lui qui, de son propre aveu, avait, un an auparavant, perdu tout ce qu’il possédait, la provenance de cet or trouvé en sa possession ?

Patterson baissa la tête. Il se sentait perdu.

L’interrogatoire terminé, le Tribunal délibéra, puis le Kaw-djer prononça la sentence. Les biens du coupable étaient confisqués. Son terrain, de même que la somme dont on avait payé son crime, faisaient retour à l’État. En outre, Patterson était condamné au bannissement perpétuel, et le territoire de l’île Hoste lui était à jamais interdit.

La sentence reçut une exécution immédiate. L’Irlandais fut conduit en rade à bord d’un navire en partance. Jusqu’au moment du départ, il y resterait prisonnier, les pieds bridés par des fers qui ne lui seraient enlevés que hors des eaux hosteliennes.

Pendant que la foule s’écoulait, le Kaw-djer se retira dans le gouvernement. Il avait besoin d’être seul pour apaiser son âme troublée. Qui eût dit, autrefois, qu’il en arriverait, lui, le farouche égalitaire, à s’ériger en juge des autres hommes, lui, l’amant passionné de la liberté, à morceler d’une division de plus la terre, cette propriété commune de l’humanité, à se décréter le maître d’une fraction du vaste monde, à s’arroger le droit d’en interdire l’accès à un de ses semblables ? Il avait fait tout cela, cependant, et, s’il en était ému, il n’éprouvait pas de regret. Cela était bon, il en était sûr. La condamnation du traître achevait le miracle commencé par la lutte contre les Patagons. L’aventure coûtait le Bourg-Neuf réduit en cendres, mais c’était payer bon marché la transformation accomplie. Le danger que tous avaient couru, les efforts accomplis en commun avaient créé un lien entre les émigrants, dont eux-mêmes ne soupçonnaient pas la force. Avant cette succession d’événements, l’île Hoste n’était qu’une colonie où se trouvaient fortuitement réunis des hommes de vingt nationalités différentes. Maintenant, les colons avaient fait place aux Hosteliens. L’île Hoste, désormais, c’était la patrie.