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campé pour la nuit. Personne ne les avait inquiétés pendant leur retraite, pas un coup de fusil n’avait été tiré. Mais cette preuve de la miséricorde de leurs adversaires ne les avait pas rassurés, et ils manifestèrent une vive inquiétude, en voyant approcher une masse si importante de cavaliers et de fantassins. Afin de leur donner confiance, les Hosteliens firent halte à deux kilomètres, tandis que les prisonniers libérés, emmenant avec eux les blessés, continuaient leur marche et allaient se réunir à leurs compatriotes.

Quelles durent être les pensées de ces Indiens sauvages, lorsque revinrent librement ceux qu’ils pensaient réduits en esclavage ? Athlinata fut-il un fidèle mandataire, et connurent-ils les paroles qu’il avait mission de leur redire ? Ses frères comparèrent-ils, ainsi que l’espérait son libérateur, leur conduite habituelle avec celle de ces blancs qu’ils avaient voulu détruire et qui les traitaient avec tant de clémence ?

Le Kaw-djer l’ignorerait toujours, mais, dût sa générosité être inutile, il n’était pas homme à la regretter. C’est à force de répandre le bon grain qu’une semence finit par tomber dans un sillon fertile.

Pendant trois jours encore, la marche vers le Nord se continua sans incident. Sur les pentes, des colons apparaissaient parfois et, tant qu’elles étaient visibles, suivaient des yeux la horde et la troupe attachée à ses pas. Le soir du quatrième jour, on arriva enfin au point même où les Patagons avaient débarqué. Le lendemain, dès l’aube, ils poussèrent à l’eau les pirogues qu’ils avaient cachées dans les rochers du littoral. Les unes, chargées seulement d’hommes, mirent le cap à l’Ouest afin de contourner la Terre de Feu, les autres, franchissant le canal du Beagle, allèrent directement aborder la grande île que les cavaliers traverseraient. Mais, derrière eux, ils laissaient quelque chose. Au bout d’une longue perche plantée dans le sable du rivage, ils abandonnaient cette chose ronde qu’ils avaient portée depuis Libéria avec une si étrange obstination.

Lorsque la dernière pirogue fut hors de portée, les Hosteliens s’approchèrent du bord de la mer et virent alors avec horreur que la chose ronde était une tête humaine. Quelques pas de plus, et ils reconnurent la tête de Sirdey.

Cette découverte les remplit d’étonnement. On ne s’expliquait