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leur effectif, près de la moitié des survivants transformés en fantassins, il était naturel que les Indiens ne fussent pas désireux de s’éterniser dans une contrée lointaine où ils avaient reçu un si rude accueil.

Vers huit heures, un grand mouvement parcourut la horde, et la brise apporta jusqu’à Libéria d’effroyables vociférations. Tous les guerriers se pressaient au même point, comme s’ils eussent voulu assister à un spectacle que les Hosteliens ne pouvaient voir. La distance ne permettait pas, en effet, de distinguer les détails. On apercevait seulement le grouillement général de la horde, et tous ses cris individuels se fondaient en une immense clameur.

Que faisaient-ils ? Dans quelle discussion violente étaient-ils engagés ?

Cela dura longtemps. Une heure au moins. Puis la colonne parut s’organiser. Elle se divisa en trois groupes, les guerriers démontés au centre, précédés et suivis par un escadron de cavaliers. Un des cavaliers d’avant-garde portait haut par-dessus les têtes quelque chose dont on ne pouvait reconnaître la nature. C’était une chose ronde… On eût dit une boule fichée sur un bâton…

La horde s’ébranla vers dix heures. Se réglant sur la vitesse de ses piétons, elle défila lentement sous les yeux des Libériens. Le silence était profond, maintenant, de part et d’autre. Plus de vociférations du côté des vaincus, plus de hourras parmi les vainqueurs.

Au moment où l’arrière-garde des Patagons se mettait en marche, un ordre courut parmi les Hosteliens. Le Kaw-djer demandait à tous les colons sachant monter à cheval de se faire immédiatement connaître. Qui eût jamais cru que Libéria possédât un si grand nombre d’habiles écuyers ? Chacun brûlant de jouer un rôle dans le dernier acte du drame, presque tout le monde se présentait. Il fallut procéder à une sélection. En moins d’une heure, une petite armée de trois cents hommes fut réunie. Elle comprenait cent piétons et deux cents cavaliers. Le Kaw-djer en tête, les trois cents hommes s’ébranlèrent, gagnèrent le chemin, disparurent, en route pour le Nord, à la suite de la horde en retraite. Sur des brancards, ils transportaient les quelques blessés recueillis dans l’enclos de Patterson, et dont la plupart n’atteindraient pas vivants le littoral américain.