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ne tarda pas à venir rendre compte de sa mission au gouverneur. L’Irlandais n’était pas en danger et serait complètement remis à bref délai.

Le Kaw-djer fut peu satisfait de la nouvelle. Il eût préféré de beaucoup que cette lamentable affaire fût réglée par la mort du coupable. Celui-ci vivant, au contraire, elle allait avoir nécessairement des suites. Il ne pouvait être question de la résoudre, en effet, par une mesure de clémence, comme celle dont avait bénéficié Kennedy. Cette fois, la population entière était intéressée, et personne n’eût compris l’indulgence à l’égard du misérable qui avait froidement sacrifié un si grand nombre d’hommes à son insatiable cupidité. Il faudrait donc procéder à un jugement et punir, faire acte de juge et de maître. Or, malgré l’évolution de ses idées, c’étaient là besognes qui répugnaient fort au Kaw-djer.

La nuit s’écoula sans autre incident. Néanmoins, il est superflu de le dire, on dormit peu cette nuit-là à Libéria. On s’entretenait fébrilement dans les maisons et dans les rues des graves événements qui venaient de se dérouler, en s’applaudissant de la manière dont ils avaient tourné. On en faisait remonter l’honneur au Kaw-djer qui avait si exactement deviné le plan des ennemis.

On touchait au solstice d’été. À peine si la nuit franche durait quatre heures. Dès deux heures du matin, le ciel fut éclairé par les premières lueurs de l’aube. D’un même élan, les Hosteliens se portèrent alors sur l’épaulement du Sud, d’où on apercevait la longue ligne du camp ennemi.

Une heure plus tard, des hourras sortaient de toutes les poitrines. Il n’y avait pas à en douter, les Patagons faisaient leurs préparatifs de départ. On n’en était pas surpris, la tuerie de la nuit précédente ayant dû leur prouver qu’il n’y avait rien à faire pour eux à l’île Hoste. Avec une joie orgueilleuse, on dressait à satiété le bilan de leurs pertes. Plus de quatre cent vingt chevaux, dont trois cents pris et les autres tués pendant l’invasion ou lors de l’escarmouche du Bourg-Neuf. À peine, s’il en restait trois cents à ces intrépides cavaliers. Plus de deux cents hommes, soit une centaine de prisonniers à la ferme Rivière, et un plus grand nombre tués ou blessés dans les rencontres successives et notamment dans l’hécatombe dont l’enclos de Patterson avait été le théâtre. Réduits de près d’un tiers de