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— De la rivière… Je suis avec les Patagons.

— Avec les Patagons !… s’exclama sourdement Patterson.

— Oui !… Il y a dix-huit mois, quand j’ai quitté l’île Hoste, des Indiens m’ont fait passer le canal du Beagle. Je voulais aller à Punta-Arenas et, de là, en Argentine ou ailleurs. Mais les Patagons m’ont cueilli en route.

— Qu’ont-ils fait de toi ?

— Un esclave.

— Un esclave !… répéta Patterson. Tu es libre, cependant, il me semble.

— Regarde, répondit simplement Sirdey.

Patterson, obéissant à l’invitation, distingua une corde que son interlocuteur lui montrait et qui paraissait fixée à sa ceinture. Mais celui-ci ayant agité cette prétendue corde, il reconnut que c’était une mince chaîne de fer.

— Voilà comme je suis libre, reprit Sirdey. Sans compter que j’ai là, à dix pas, deux Patagons qui me guettent, cachés dans l’eau jusqu’au cou. Quand même j’arriverais à briser cette chaîne dont ils tiennent l’autre bout, ils sauraient bien me rattraper avant que je sois loin.

Patterson trembla d’une manière si évidente que Sirdey s’en aperçut.

— Qu’as-tu ? demanda-t-il.

— Des Patagons… bégaya Patterson épouvanté.

— N’aie pas peur, dit Sirdey. Ils ne te feront rien. Ils ont besoin de nous. Je leur ai dit que je pouvais compter sur toi, et c’est pourquoi ils m’ont envoyé ici en ambassadeur.

— Qu’est-ce qu’ils veulent ? » balbutia Patterson.

Il y eut un instant de silence avant que Sirdey se décidât à répondre :

— Que tu les fasses entrer dans la ville.

— Moi !… protesta Patterson.

— Oui, toi. Il le faut… Écoute !… C’est pour moi une question de vie ou de mort. Quand je suis tombé entre leurs mains, je suis devenu leur esclave, je te l’ai dit. Ils m’ont torturé de cent façons. Un jour, ils ont appris, par quelques mots qui m’ont échappé, que j’arrivais de Libéria. Ils ont eu l’idée de se servir de moi pour piller la ville qu’ils connaissaient déjà de réputation, et ils m’ont offert la liberté si je pouvais les y aider. Moi, tu comprends…