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effet, et leurs fusils jetaient de faibles éclairs sous la lumière de la lune qui allait entrer dans son dernier quartier. À leur tête marchait un homme de haute taille autour duquel on se pressait. Son nom courait de bouche en bouche. C’était le Kaw-djer.

Patterson en conçut à la fois de la joie et de la colère. De la colère, parce que c’était le Kaw-djer qu’il détestait par-dessus tous les autres. De la joie aussi, parce qu’il était rassuré par l’appoint de si importants renforts.

Si le Kaw-djer arrivait de ce côté, c’est qu’il venait effectivement du Bourg-Neuf. En apercevant dans la nuit la lumière de l’incendie qui dévorait le faubourg, il avait improvisé un plan d’action. Passant, à l’exemple des Patagons, la rivière à trois kilomètres en amont avec sa petite armée, il s’était dirigé, à travers la campagne, vers la flamme qui le guidait comme un phare.

D’après le nombre des feux de bivouac qui brillaient au sud de la ville, il supposait justement que le gros des envahisseurs y était campé. Dans ce cas, on n’en rencontrerait, dans la direction du Bourg-Neuf, qu’un faible parti qu’il serait aisé de dispenser. Cela fait, on entrerait dans Libéria tout bonnement par la route.

Les événements s’étaient déroulés conformément à ses prévisions. On surprit les incendiaires du port, alors que, dans leur rage de n’y avoir rien découvert qui valût la peine d’être pillé, ils étaient encore fort occupés à en activer la destruction. Arrivés sans rencontrer la plus légère résistance jusqu’à cette agglomération de maisons et l’ayant trouvée complètement déserte, ils étaient si tranquilles qu’ils n’avaient même pas jugé utile de se garder.

Le Kaw-djer tomba sur eux comme la foudre. Autour d’eux, la fusillade crépita soudain de tous côtés. Les Patagons éperdus prirent la fuite, en laissant entre les mains du vainqueur quinze nouveaux fusils et cinq prisonniers. On n’essaya pas de les poursuivre. Les coups de feu avaient pu être entendus de l’autre côté de la rivière, et un retour offensif était à redouter. Sans s’attarder, les Hosteliens se replièrent sur Libéria. La bataille n’avait pas duré dix minutes.

Le retour inopiné du Kaw-djer ne fut pas la seule émotion