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à ce brigandage de se perpétuer trop longtemps. Nul doute que la République Argentine et le Chili enfin d’accord ne sachent y mettre un terme, mais il ne faut pas se dissimuler que l’œuvre sera longue et laborieuse, dans une contrée immense, à population clairsemée, sans moyens de communications, et qui, depuis l’origine du monde, a joui d’une indépendance illimitée.

Les envahisseurs de l’île Hoste appartenaient à cette catégorie d’Indiens. Comme on l’a déjà vu au début de ce récit, les Patagons sont coutumiers de ces incursions en territoires voisins, et bien souvent ils franchissent le détroit de Magellan pour razzier avec une cruauté impitoyable cette grande île de la Magellanie à laquelle appartient plus spécialement le nom de Terre de Feu. Toutefois, ils ne s’étaient jamais aventurés aussi loin jusqu’alors.

Pour arriver à l’île Hoste, ils avaient dû, soit traverser la Terre de Feu de part en part et ensuite le canal du Beagle, soit suivre depuis le littoral américain les canaux sinueux de l’archipel. Dans tous les cas, ils n’avaient accompli un pareil exode qu’au prix des plus grandes difficultés, tant pour se ravitailler pendant leur route terrestre, que pour naviguer dans les bras de mer, au risque de voir chavirer leurs légères pirogues sous le poids des chevaux.

Tout en galopant à la tête de ses vingt-cinq compagnons, le Kaw-djer se demandait quel motif avait décidé les Patagons à une entreprise si en dehors de leurs habitudes séculaires ? Sans doute, la fondation de Libéria pouvait expliquer dans une certaine mesure ce fait anormal. Il est à croire que la réputation de la cité nouvelle s’était répandue dans les contrées environnantes et que la renommée lui avait attribué de merveilleuses richesses. L’imagination sauvage les amplifiant encore, rien de plus naturel qu’elles eussent excité des convoitises.

Oui, les choses pouvaient à la rigueur s’expliquer ainsi. Mais malgré tout, cependant, l’audace des envahisseurs demeurait surprenante, et, quelle que soit leur rapacité bien connue, il était difficile de concevoir qu’ils se fussent risqués à affronter une si nombreuse agglomération d’hommes blancs. Pour se lancer dans une telle aventure, ils avaient eu vraisemblablement des raisons particulières que le Kaw-djer cherchait sans les trouver.

Il ignorait en quel point de l’île il rencontrerait les ennemis.