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intervenir, sous peine de voir détruite l’œuvre de tant de jours.

Le Kaw-djer mit à contribution tous les bras. Une armée de terrassiers éleva un barrage suivant un angle qui embrassait la ville, et dont le sommet fut placé au Sud-Ouest. L’une des branches de cet angle se dirigeait obliquement vers les monts du Sud, tandis que l’autre, tracée à une certaine distance de la rivière, en épousait sensiblement le cours. Un petit nombre de maisons, et notamment celle de Patterson, édifiées trop près de la rive, restaient hors du périmètre de protection. On avait dû se résigner à ce sacrifice nécessaire.

En quarante-huit heures, ce travail poursuivi de jour et de nuit fut terminé. Il était temps. De l’intérieur, un déluge accourait vers la mer. Le barrage fendit comme un coin cette immense nappe d’eau. Une partie en fut rejetée dans l’Ouest, vers la rivière, tandis que, dans l’Est, l’autre s’écoulait en grondant vers la mer.

Malgré l’inclinaison du sol, Libéria devint en quelques heures une île dans une île. De tous côtés on n’apercevait que de l’eau, d’où, vers l’Est et le Sud, émergeaient les montagnes, et, vers le Nord-Ouest, les maisons du Bourg-Neuf protégé par son altitude relative. Toutes communications étaient coupées. Entre la ville et son faubourg, la rivière précipitait en mugissant des flots centuplés.

Huit jours plus tard, l’inondation ne montrait encore aucune tendance à décroître, quand se produisit un grave accident. À la hauteur du clos de Patterson, la berge, minée par les eaux furieuses, s’écroula tout à coup, en entraînant la maison de l’Irlandais. Celui-ci et Long disparurent avec elle et furent emportés dans un irrésistible tourbillon.

Depuis le commencement du dégel, Patterson, sourd à toutes les objurgations, s’était énergiquement refusé à quitter sa demeure. Il n’avait pas cédé en se voyant exclu de la protection du barrage, ni même quand le bas de son enclos eut été envahi. Il ne céda pas davantage lorsque l’eau vint battre le seuil de sa maison.

En un instant, sous les yeux de quelques spectateurs qui, du haut du barrage, assistaient impuissants à la scène, maison et habitants furent engloutis.

Comme si le double meurtre eût satisfait sa colère, l’inondation montra bientôt après une tendance à décroître. Le niveau