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Sand faisait de la musique, et, de temps en temps, pour se reposer, ils se regardaient en souriant. Ils s’estimaient parfaitement heureux.

Un triste jour fut celui où Sand quitta le lit. La vue de son ami ainsi martyrisé jeta Dick, alors levé depuis une semaine, dans un abîme de désespoir. L’impression qu’il reçut de ce spectacle fut aussi durable que profonde. Il fut transformé soudainement, comme s’il eût été touché par une baguette de fée. Un autre Dick naquit, plus déférent, plus réfléchi, d’allures moins effrontées et moins combatives.

On était alors au début du mois de juin, c’est-à-dire au moment où la neige commençait à bloquer les Libériens dans leurs demeures. Un mois plus tard, on entra dans la période la plus froide de ce rude hiver. Il n’y avait plus à compter sur le dégel avant le printemps.

Le Kaw-djer s’efforça de réagir contre les effets déprimants de ce long emprisonnement. Sous sa direction, des jeux en plein air furent organisés. Par une saignée faite à grand renfort de bras dans la berge de la rivière, l’eau, prise au-dessous de la glace, se répandit sur la plaine marécageuse, qui fut ainsi transformée en un admirable champ de patinage. Les adeptes de ce sport, très pratiqué en Amérique, purent s’en donner à cœur joie. Pour ceux auxquels il n’était pas familier, on institua des courses de skis ou des glissades vertigineuses en traîneaux le long des pentes des collines du Sud.

Peu à peu, les hivernants s’endurcirent à ces sports de la glace et y prirent goût. La gaieté et en même temps la santé publique en reçurent la plus heureuse influence. Vaille que vaille, on atteignit ainsi le 5 octobre.

Ce fut à cette date qu’apparut le dégel. La neige qui recouvrait la plaine située du côté de la mer fondit tout d’abord. Le lendemain celle qui encombrait Libéria fondit à son tour, changeant les rues en torrents, tandis que la rivière brisait sa prison de glace. Puis, le phénomène se généralisant, la fonte des premières pentes du Sud alimenta pendant plusieurs jours les torrents boueux qui s’écoulaient à travers la ville, et enfin, le dégel continuant à se propager dans l’intérieur, la rivière se mit à gonfler rapidement. En vingt-quatre heures, elle atteignit le niveau des rives. Bientôt, elle se déverserait sur la ville. Il fallait