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sur sa couche en prononçant des paroles sans suite. On ne pouvait plus en douter, l’enfant avait une congestion cérébrale d’une telle violence qu’une terminaison fatale était à craindre. La médication habituelle était inapplicable dans la circonstance présente. Où se fût-on procuré de la glace pour rafraîchir son front brûlant ? Les progrès réalisés sur l’île Hoste n’étaient pas tels encore qu’il fût possible d’y trouver cette substance, en dehors de la période hivernale.

Cette glace, dont le Kaw-djer déplorait l’absence, la nature n’allait pas tarder à la lui fournir en quantités illimitées. L’hiver de l’année 1884 devait être d’une extrême rigueur et fut aussi exceptionnellement précoce. Il débuta dès les premiers jours d’avril par de violentes tempêtes qui se succédèrent pendant un mois, presque sans interruption. À ces tempêtes fit suite un excessif abaissement de température qui provoqua finalement des chutes de neige telles que le Kaw-djer n’en avait jamais vu de pareilles depuis qu’il s’était fixé en Magellanie. Tant que cela fut au pouvoir des hommes, on lutta courageusement contre cette neige, mais, dans le courant du mois de juin, les implacables flocons tombèrent en tourbillons si épais qu’il fallut se reconnaître vaincu. Malgré tous les efforts, la couche neigeuse atteignit, vers le milieu de juillet, une épaisseur de plus de trois mètres, et Libéria fut ensevelie sous un linceul glacé. Aux portes habituelles furent substituées les fenêtres des premiers étages. Quant aux maisons limitées à un simple rez-de-chaussée, elles n’eurent plus d’autre issue qu’un trou percé dans le toit. La vie publique fut, on le conçoit, entièrement arrêtée, et les relations sociales réduites au minimum indispensable pour assurer la subsistance de chacun.

La santé générale se ressentit nécessairement de cette rigoureuse claustration. Quelques maladies épidémiques firent de nouveau leur apparition, et le Kaw-djer dut venir en aide à l’unique médecin de Libéria qui ne suffisait plus à la peine.

Heureusement pour le repos de son esprit, il n’avait plus, à ce moment d’inquiétudes pour Dick ni pour Sand. Des deux, Sand avait été le premier à s’acheminer vers la guérison. Une dizaine de jours après le drame dont il avait été la victime volontaire, on fut en droit de le considérer comme hors de danger, et il n’y eut plus de motif de mettre en doute que l’amputation serait évitée.