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— En attendant, moi, je n’ai rien eu, fit-il remarquer tout penaud.

Dick le prit de très haut.

— Non, mais, dis donc un peu que je suis un gourmand !… Et puis, zut ! je ne joue plus, là !

— Dick !… implora Sand terrifié par cette menace.

Il n’en fallut pas davantage. Dick renonça immédiatement à ses projets de vengeance.

— Alors, dit-il d’un air magnanime, c’est moi qui ferai le patron… C’est à toi d’être le client.

Le jeu s’organisa d’après ce nouveau programme. Ce fut Sand qui sortit de la grotte, y rentra et s’assit par terre devant la table imaginaire. Cette mise en scène terminée, Dick s’approcha de son client ravi en lui présentant un caillou. Mais Sand, dont l’intelligence était moins vive, ne comprit pas tout de suite et regarda le caillou d’un air ahuri.

— Bête !… expliqua Dick. C’est la note.

— Je n’ai rien eu, objecta Sand révolté.

— Puisqu’il n’y a plus rien… il n’y a plus qu’à payer le dîner… Dans un restaurant, on paie, peut-être !… Tu diras : « Garçon, donnez-moi la note, je vous prie ». Moi, je dirai : « Voilà, monsieur ! » Toi, tu diras : « Voilà, garçon, un cent pour le dîner et un cent pour vous. » Moi, je dirai : « Merci, monsieur. » Et tu me donneras deux cents.

Tout se passa conformément à ce plan fort logique. Sand eut le ton qu’il fallait pour demander : « Garçon, donnez-moi la note, je vous prie », et Dick cria si parfaitement : « Voilà, monsieur ! », qu’on l’eût pris pour un garçon véritable. C’était à s’y méprendre. Sand enchanté donna les deux cents.

Une réflexion ne laissa pas toutefois de gâter son plaisir.

— C’est toi qui as mangé les pommes de terre, et c’est moi qui les paie ! dit-il un peu mélancoliquement.

Dick n’eut pas l’air d’entendre. Il avait parfaitement entendu cependant. Et la preuve en est qu’il avait rougi jusqu’aux oreilles.

— Nous achèterons un réglisse au bazar Rhodes, promit-il pour se mettre en repos avec sa conscience.

Puis, en profond politique, afin de couper court à l’incident :

— On va jouer à autre chose, déclara-t-il.