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danger dont il perdait le souvenir restait suspendu au-dessus de sa tête. Les auteurs de l’attentat étaient demeurés inconnus. Impunis, et ayant toujours en leur possession le baril de poudre qui constituait entre leurs mains la plus terrible des menaces, ils vivaient librement, noyés dans la foule des colons.

Si le Kaw-djer, justifiant par la crainte de troubler la population de Libéria la répugnance de toute mesure policière, qui subsistait au fond de son cœur comme un vieux reste de ses anciennes idées libertaires, ne se fût pas interdit, dès le début, de procéder à une enquête sérieuse, peut-être eût-il mis la main sur les coupables. Le baril de poudre n’était pas loin, en effet, Dorick et Kennedy l’ayant transporté, le matin même de leur attentat, dans une de ces grottes de la pointe de l’Est que le Kaw-djer ne pouvait ignorer, puisque c’est dans l’une d’elles qu’Hartlepool avait autrefois déposé la réserve de fusils.

Ces grottes, on ne l’aura peut-être pas oublié, étaient au nombre de trois : deux inférieures, dont l’une prenant jour sur le versant Sud, communiquait avec la seconde, évidée en plein cœur de la montagne, et une supérieure, située une cinquantaine de mètres plus haut, cette dernière s’ouvrant au contraire sur le versant Nord et dominant par conséquent Libéria. Une étroite fissure réunissait les deux systèmes. Praticable à la rigueur malgré sa forte inclination, cette fissure présentait, vers le milieu de son parcours, un étranglement qui obligeait à ramper pendant quelques mètres, en évitant soigneusement de toucher, de frôler même un bloc instable qui supportait seul la voûte en cet endroit et dont la chute eût risqué de provoquer une catastrophe.

C’est dans la grotte supérieure que les fusils avaient été déposés autrefois par Hartlepool. C’est dans l’une des deux grottes inférieures que Dorick et Kennedy avaient porté la poudre.

Ils n’avaient même pas jugé utile de la dissimuler dans la seconde, creusée en plein massif par un caprice de la nature. Après avoir rapidement examiné celle-ci sans remarquer la fissure qui allait s’épanouir sur l’autre versant à une altitude plus élevée, ils s’étaient contentés de cacher le baril sous un amoncellement de branches et l’avaient laissé dans la première grotte où, par une haute et large arcade, l’air et la lumière pénétraient à flots.