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un phare s’allumait chaque soir au coucher du soleil. Prévenus à temps, les bâtiments prendraient le large, et une multitude de naufrages seraient évités.

Depuis que le Kaw-djer avait mis le pied sur le cap Horn, pas un jour ne s’était écoulé sans qu’il fût tenté par cette grande œuvre. Toutefois il n’en méconnaissait pas les difficultés, et longtemps il y avait pensé comme à une irréalisable chimère. Mais les choses étaient changées à présent. Gouverneur d’un État en voie d’ascension rapide, il pouvait employer un nombre presque illimité de travailleurs. La chimère cessait d’être irréalisable.

D’autre part, la question d’argent, qui se fût autrefois posée, était désormais résolue. Il est à croire, en effet, que le Kaw-djer avait à sa disposition des ressources considérables, puisqu’il avait pu faire à l’État hostelien les avances qui en avaient permis le développement. Longtemps il s’était refusé à puiser dans ces richesses dont il avait volontairement oublié l’existence, mais, maintenant qu’il les avait une première fois utilisées, ses répugnances n’avaient plus de raison d’être. Le sacrifice était accompli ; il n’y avait aucun motif de ne pas faire encore ce qu’il avait déjà fait.

D’ailleurs, sa prospérité croissante permettrait bientôt à l’État hostelien de commencer le remboursement des avances que son créateur lui avait consenties. Ces capitaux, celui-ci n’allait pas les placer à la manière d’un bourgeois. Il n’allait pas thésauriser, lui qui professait pour l’argent un si dédaigneux mépris. Quel meilleur usage pourrait-il en faire que de les utiliser à la construction d’un phare au sommet du tragique promontoire sur la rude écorce duquel tant de navires viennent s’écraser ?

Une grave difficulté subsistait cependant. Si l’île Hoste était libre, l’île Horn demeurait chilienne. Mais cette difficulté n’était peut-être pas insurmontable. Il n’était pas impossible que le Chili consentît à un abandon de ses droits sur un rocher inculte, en considération de l’usage que s’engagerait à en faire le nouveau possesseur. Cette négociation, il convenait de la tenter, tout au moins. Et c’est pourquoi le premier navire en partance emporta une note officielle adressée sur ce sujet par le gouverneur de l’État hostelien à la République du Chili.

Pendant que le Kaw-djer s’absorbait ainsi dans son œuvre, le