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d’autres mesures, mais Hartlepool se promit in petto de les compléter en entourant son chef d’une protection aussi vigilante que discrète.

Quant à découvrir les coupables, il n’y fallait pas compter, sous peine de mettre la ville en ébullition. Ils n’avaient laissé aucune trace, et seule la découverte du baril de poudre dérobé les eût démasqués. Mais, pour trouver ce baril, il aurait fallu se livrer à de nombreuses perquisitions, qui eussent causé une émotion que le Kaw-djer entendait éviter à tout prix.

Les choses ainsi réglées, la vie reprit son cours normal. Les jours passèrent après les jours, effaçant le souvenir d’un incident auquel le temps écoulé enlevait beaucoup de son importance première et dont la nouvelle organisation rendait le retour impossible.

Le Kaw-djer, tout au moins, cessa bientôt d’y penser. Il avait d’autres soucis en tête. Emporté par son œuvre comme par un torrent, il goûtait l’ivresse sublime des créateurs. Son cerveau surchauffé élaborait sans cesse de nouvelles entreprises, et l’exécution d’un projet n’était pas terminée qu’il passait au projet suivant.

Il n’avait même pas attendu que le batardeau du futur quai fût achevé, pour concevoir d’autres rêves. L’un, très réalisable à coup sûr, consistait à utiliser une chute de la rivière située à quelques kilomètres en amont, pour y établir une station électrique qui distribuerait partout la lumière et la force. Libéria éclairée à l’électricité !… Qui, deux ans auparavant, eût pu prévoir cela ?

Pourtant ce projet n’était pas celui qui passionnait le plus le Kaw-djer. Il en rêvait un autre plus grandiose. Éclairer Libéria, cela était utile, certes, mais utile seulement à une très petite fraction de l’humanité, et, d’autre part, l’entreprise présentait si peu de difficultés qu’on pouvait la considérer comme une simple distraction. L’œuvre qui le passionnait réellement était plus générale et plus vaste. Elle intéressait l’humanité tout entière.

Il en devait la première pensée au naufrage même du Jonathan. Quand les coups de canon s’étaient fait entendre dans la nuit, le Kaw-djer avait, on s’en souvient, allumé un feu au sommet du cap Horn. Mais ce n’était là qu’un expédient, et, après comme