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leurs pieds, puis, se recourbant, repartait dans le Nord-Ouest, c’est-à-dire presque parallèlement à elle-même, vers le Bourg-Neuf où elle se jetait dans la mer. Au coude de la rivière, Libéria s’étendait, déployée comme une carte, puis, au-delà, la plaine marécageuse qui séparait la ville du rivage.

On était au 25 février 1884. Depuis le jour où le Kaw-djer avait pris le pouvoir, plus de dix-huit mois s’étaient écoulés. L’œuvre accomplie pendant ce court espace de temps tenait réellement du prodige.

De nouveaux contingents d’ouvriers comblant perpétuellement les vides laissés par ceux qui ne pouvaient se faire à l’existence de l’île Hoste, le nombre des habitants de Libéria s’était encore accru et dépassait le millier. Mais les maisons, en bois pour la plupart, s’étaient multipliées elles aussi et suffisaient à abriter tout le monde. Limitée à l’Ouest par la rivière, la ville s’était largement développée dans la direction opposée et vers le Sud.

C’était une ville et non plus un campement, en effet. Rien n’y manquait maintenant de ce qui est nécessaire ou seulement agréable à la vie. Boulangers, épiciers, bouchers, assuraient l’alimentation publique. Des produits qu’ils mettaient en vente, la campagne hostelienne fournissait déjà sa part, et cette part représentait largement la consommation des producteurs. Dès l’année suivante, selon toute probabilité, l’île se suffirait à elle-même, en fait de froment, légumes et viandes de boucherie, en attendant le jour prochain où on pourrait passer de l’importation à l’exportation.

Les enfants ne vagabondaient plus. Une école avait été ouverte, dont M. et Mme  Rhodes assumaient alternativement la direction.

Après toute une année d’absence, Harry Rhodes était revenu au mois d’octobre précédent, en rapportant avec lui une quantité considérable de marchandises. Aussitôt de retour, il avait eu une longue conférence avec le Kaw-djer, puis il s’était consacré à ses affaires, sans donner aucune explication sur la durée insolite de son voyage.

Le temps que M. et Mme  Rhodes consacraient à l’école n’était aucunement préjudiciable au bazar, dont Edward et Clary, aidés de Tullia et Graziella Ceroni, s’occupaient activement, et dont le succès allait grandissant.