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tations. Dans toutes ses décisions, il n’obéit qu’à une unique loi, l’intérêt supérieur de la colonie. À ceux qui avaient montré le plus d’intelligence, de force et de vaillance, les concessions les plus vastes. Rien au contraire à ceux dont il avait pu constater l’incapacité, et qu’il condamnait sans appel à rester des prolétaires et des salariés jusqu’à la mort.

Le salariat, en effet, allait nécessairement faire son apparition sur l’île Hoste. Quelques exploitations, celles par exemple des quatre familles dont les Rivière formaient le centre, étaient d’une telle étendue et d’une telle prospérité, qu’elles eussent suffi à occuper plusieurs centaines d’ouvriers. L’ouvrage ne manquerait donc pas à ceux qui préféreraient le travail des champs à celui de la ville.

Pour la deuxième fois, Libéria se dépeupla. Son titre de concession à peine en poche, chaque titulaire partait avec les siens, bien pourvu de vivres, dont la provision pourrait, — d’ailleurs, le Kaw-djer l’affirmait — être ultérieurement renouvelée. Quelques-uns de ceux qui n’avaient pas été favorisés les imitèrent, et allèrent louer leurs bras dans la campagne.

Le 10 janvier, la population fut réduite à quatre cents habitants environ, dont deux cent cinquante hommes en âge de travailler. Les autres, soit un peu moins de six cents, y compris les femmes et les enfants, étaient maintenant disséminés dans l’intérieur. Ainsi que le Kaw-djer avait pu s’en assurer au cours de son voyage, la population totale n’atteignait plus en effet le millier. Le surplus était mort, dont près de deux cents dans le seul hiver qui venait de finir. Encore quelques hécatombes de ce genre, et l’île Hoste redeviendrait un désert.

L’avancement du travail se ressentit de la diminution du nombre des travailleurs. Le Kaw-djer ne parut pas s’en soucier. On comprit bientôt sa tranquillité. Quelques jours plus tard, le 17 janvier, un vapeur mouillait en face du Bourg-Neuf. C’était un grand navire de deux mille tonneaux. Dès le lendemain son déchargement commençait, et les Libériens émerveillés virent défiler d’incalculables richesses. Ce fut d’abord du bétail, des moutons, des chevaux et jusqu’à deux chiens de berger. Puis, ce fut du matériel agricole : charrues, herses, batteuses, faneuses ; des semences de toute nature ; des vivres en quantité considérable, des voitures et des chariots ; des métaux : plomb, fer, acier,