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colons se mettaient avec empressement à sa disposition. L’enthousiasme était unanime, quand on apprenait la nouvelle organisation de la colonie, et cet enthousiasme croissait encore à mesure qu’il faisait part de ses projets. Lui parti, on reprenait le travail avec une ardeur décuplée par l’espoir.

De tout ce qu’il observait, de tout ce qu’il entendait, le Kaw-djer prit soigneusement note. En même temps, il relevait un plan grossier des diverses exploitations et de leurs situations respectives.

Ces documents, il les utilisa dès son retour. En quelques jours il dressa une carte de l’île, carte approximative au point de vue géographique, mais d’une exactitude plus que suffisante au point de vue des exploitations agricoles qui se limitaient les unes les autres, puis il répartit la moitié de l’île entre cent soixante-cinq familles qu’il choisit sans appel, et auxquelles il délivra des concessions régulières.

Donner à la propriété cette base solide, c’était accomplir une véritable révolution. Au régime du bon plaisir, il substituait la légalité, à la possession de fait, un titre inattaquable par celui-là même qui l’avait délivré. Aussi ces simples feuilles de papier furent-elles reçues par leurs bénéficiaires avec autant de joie peut-être que les champs qu’elles représentaient.

Jusqu’alors ils avaient vécu instables, dans l’incertitude du lendemain. Ces feuilles de papier changeaient tout. Cette terre était à eux. Ils pourraient la léguer à leurs enfants. Ils se fixaient, prenaient racine, et devenaient vraiment de colons, des Hosteliens.

Le Kaw-djer commença par consolider les droits des quarante-deux familles qui étaient demeurées attachées à la glèbe et par rétablir dans les leurs les vingt-huit exploitants qui ne l’avaient quittée que sous la menace des émeutiers. Cela fait, il sélectionna entre toutes quatre-vingt-quinze autres familles, qui lui parurent dignes d’en appeler de leur échec. Il ne s’occupa aucunement des autres.

C’était de l’arbitraire. Ce ne fut pas le seul. Si l’égalité n’eut rien à voir dans la répartition des concessions, elle ne fut pas mieux respectée au point de vue de leur importance. À ceux-ci le Kaw-djer laissa juste le terrain sur lequel ils s’étaient d’abord établis, tandis qu’il diminuait la surface attribuée à ceux-là. En même temps, il augmentait considérablement certaines exploi-