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sement la main que celui-ci lui tendait, puis, au moment de le quitter :

« Comptez sur moi, dit-il.

— J’y compte », répondit le Kaw-djer qui suivit des yeux son ami s’éloignant dans la nuit.

Quand Harry Rhodes eut disparu, ce fut au tour de Karroly.

Il le prit à l’écart et lui donna ses instructions que l’Indien écouta avec son respect habituel ; puis, infatigable, il traversa une dernière fois la plaine et alla, comme la veille, chercher le sommeil sur le terre-plein de Libéria.

Ce fut lui qui, dès l’aube, donna le signal du réveil. Bientôt, tous les colons convoqués par lui étaient réunis sur la place.

« Hosteliens, dit-il au milieu d’un profond silence, il va vous être fait, pour la dernière fois, une distribution de vivres. Dorénavant les vivres seront vendus, à des prix que j’établirai, au profit de l’État. L’argent ne manquant à personne, nul ne risque de mourir de faim. D’ailleurs, la colonie a besoin de bras. Tous ceux d’entre vous qui se présenteront seront employés et payés. À partir de ce moment, le travail est la loi. »

On ne saurait contenter tout le monde, et il n’est pas douteux que ce bref discours déplût cruellement à quelques-uns ; mais il galvanisa littéralement par contre la majorité des auditeurs. Leurs fronts se relevèrent, leurs torses se redressèrent, comme si une force nouvelle leur eût été infusée. Ils sortaient donc enfin de leur inaction ! On avait besoin d’eux. Ils allaient servir à quelque chose. Ils n’étaient plus inutiles. Ils acquéraient à la fois la certitude du travail et de la vie.

Un immense « hourra ! » sortit de leurs poitrines, et, vers le Kaw-djer, les bras se tendirent, muscles durcis, prêts à l’action. Au même instant, comme une réponse à la foule, un faible cri d’appel retentit dans le lointain.

Le Kaw-djer se retourna et, sur la mer, il aperçut la Wel-Kiej dont Karroly tenait la barre ; Harry Rhodes, debout à l’avant, agitait la main en geste d’adieu, tandis que la chaloupe, toutes voiles dehors, s’éloignait dans le soleil.