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« Hosteliens, dit-il, le nécessaire sera fait pour améliorer la situation, mais j’exige l’obéissance de tous et je compte que personne ne m’obligera à employer la force. Que chacun de vous rentre chez soi et attende les instructions qui ne tarderont pas à être données. »

L’énergique laconisme de ce discours eut les plus heureux effets. On comprit qu’on allait être dirigé, et qu’il suffirait dorénavant de se laisser conduire. Rien ne pouvait mieux réconforter des malheureux qui venaient de faire de la liberté une si déplorable expérience et qui l’eussent volontiers aliénée contre la certitude d’un morceau de pain. La liberté est un bien immense, mais qu’on ne peut goûter qu’à la condition de vivre. Et vivre, à cela se réduisaient pour l’instant les aspirations de ce peuple en détresse.

On obéit avec célérité, sans faire entendre le plus léger murmure. La place se vida, et tous, jusqu’à Lewis Dorick, se conformant aux ordres reçus, s’enfermèrent dans les maisons ou sous les tentes.

Le Kaw-djer suivit des yeux la foule qui s’écoulait, et ses lèvres eurent un imperceptible pli d’amertume. S’il lui était resté des illusions, elles se fussent envolées. L’homme, décidément, ne haïssait pas la contrainte autant qu’il se l’était imaginé. Tant de veulerie — de lâcheté presque ! — ne s’accordait pas avec l’exercice d’une liberté sans limite.

Une centaine de colons n’avaient pas suivi les autres. Le Kaw-djer se tourna en fronçant les sourcils vers ce groupe indocile. Aussitôt, un de ceux qui le composaient s’avança en avant de ses compagnons et prit la parole en leur nom. S’ils n’allaient pas, eux aussi, s’enfermer dans leurs demeures, c’est qu’ils n’en avaient pas. Chassés de leurs fermes envahies par une horde de pillards, ils venaient d’arriver à la côte, ceux-là depuis quelques jours, ceux-ci de la veille, et ils ne possédaient plus d’autre abri que le ciel.

Le Kaw-djer, les ayant assurés qu’il serait promptement statué sur leur sort, les invita à dresser les tentes qui existaient encore en réserve, puis, tandis qu’ils se mettaient en devoir d’obéir, il s’occupa sans plus tarder des victimes de l’émeute.

Il y en avait sur le terre-plein même et dans la campagne environnante. On partit à la recherche de ces dernières, et