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reau de chair, et la blessure apparut à nu. Elle était terrible. La lame, pénétrant entre les omoplates, avait traversé la poitrine presque de part en part. En admettant que, par miracle, la moelle épinière ne fût pas intéressée, le poumon était nécessairement perforé. Halg, livide, les yeux clos, respirait à peine, et une mousse sanglante coulait de ses lèvres.

En quelques minutes, le Kaw-djer, ayant découpé en lanières sa blouse de peau de guanaque, eut fait un pansement provisoire, puis, sur un signe de lui, Karroly, Hartlepool et Harry Rhodes se mirent en devoir de transporter le blessé.

À ce moment, l’attention du Kaw-djer fut enfin attirée par les grondements de Zol. Évidemment le chien était aux prises avec quelque ennemi. Tandis que le triste cortège se mettait en marche, il s’avança dans la direction du bruit, dont la source ne paraissait pas très éloignée.

Cent pas plus loin, un horrible spectacle frappait sa vue. Sur le sol, un corps, celui de Sirk, ainsi qu’il le reconnut à la lumière de la lune, était étendu, la gorge ouverte par une affreuse blessure. Des carotides tranchées net le sang giclait à flots. Cette blessure, ce n’était pas une arme qui l’avait faite.

Elle était l’œuvre de Zol, qui s’acharnait encore, ivre de rage, à l’agrandir.

Le Kaw-djer fit lâcher prise au chien, puis s’agenouilla dans la boue sanglante près de l’homme. Tous soins étaient inutiles. Sirk était mort. Le Kaw-djer, songeur, considérait le cadavre qui ouvrait dans la nuit des yeux déjà vitreux. Le drame se reconstituait aisément. Pendant qu’il suivait Sirdey, complice peut-être du crime projeté, Sirk, à l’affût, avait bondi sur Halg qui revenait en courant et l’avait assassiné par derrière. Puis, tandis qu’on s’empressait autour du blessé, Zol s’était lancé sur les traces du coupable, dont le châtiment avait suivi de près le crime. Quelques minutes avaient suffi pour que le drame déroulât ses foudroyantes péripéties. Les deux acteurs gisaient abattus, l’un mort, l’autre mourant.

La pensée du Kaw-djer se reporta sur Halg. Le groupe des trois hommes qui soutenaient le corps inerte du jeune Indien commençait à s’effacer dans la nuit. Il soupira profondément. Cet enfant représentait tout ce qu’il aimait sur la terre. Avec lui disparaîtrait sa plus forte, presque son unique raison de vivre.