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IX

Le deuxième hiver.

Lorsque le mois d’avril ramena l’hiver avec lui, aucun fait nouveau de quelque importance n’avait jalonné la vie poignante et monotone des habitants de Libéria. Tant que la température fut clémente, ils se laissèrent vivre sans souci de l’avenir, et les troubles atmosphériques dont s’accompagne l’équinoxe les surprirent en plein rêve. Par exemple, aux premiers souffles des bourrasques hivernales, Libéria parut se dépeupler. De même que l’année précédente, on se calfeutra au fond des maisons closes.

Au Bourg-Neuf, l’existence n’était pas beaucoup plus active, les travaux de plein air, et notamment la pêche, étant devenus impraticables. Dès le début du mauvais temps, le poisson avait fui dans le Nord vers les eaux moins froides du détroit de Magellan. Les pêcheurs laissaient donc à l’ancre leurs barques inutiles. Qu’en eussent-ils fait d’ailleurs au milieu des eaux soulevées par le vent ?

Après la tempête, ce fut la neige. Puis un rayon de soleil, amenant le dégel, transforma le sol en marécage. Puis ce fut la neige encore.

Dans tous les cas, quand bien même le tablier du ponceau fût resté en place, les communications eussent été malaisées entre la capitale et son faubourg, et Beauval eût été bien empêché de mettre ses menaces à exécution. Mais ne les avait-il pas oubliées ? Depuis qu’on l’avait si vertement expulsé de la rive gauche, elles étaient restées lettre morte, et désormais de plus graves et plus pressants soucis l’accablaient, au regard desquels le souvenir de l’injure reçue devait singulièrement décroître d’importance.