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s’enivrer, pour cette raison péremptoire qu’il n’existait plus une seule goutte d’alcool sur toute la surface de l’île Hoste. Il était donc obligé de se tenir tranquille, mais sa santé paraissait gravement compromise par les derniers excès auxquels il s’était livré. Presque toujours assis devant sa maison, il se chauffait au soleil, en regardant à ses pieds d’un air morne, les mains agitées d’un tremblement continuel.

Tullia, avec sa patience inaltérable et sa douceur, avait essayé vainement de combattre cette torpeur qui la remplissait d’inquiétude. Tous ses efforts avaient échoué, et elle ne conservait plus d’espoir que dans la prolongation d’habitudes devenues par la force des choses plus conformes à l’hygiène.

Halg, qui raisonnait autrement que la malheureuse femme, trouvait l’existence infiniment plus agréable depuis le début de cette période de paix. D’autre part, pour lui qui rapportait tout à Graziella, les événements semblaient prendre une tournure favorable. Non seulement Lazare Ceroni, dont il avait longtemps redouté l’hostilité, ne comptait plus, mais encore un de ses rivaux, le plus à craindre, l’Irlandais Patterson, s’était définitivement retiré de la lice. On ne le voyait plus. Il n’importunait plus de sa présence Graziella et sa mère. Il avait compris sans doute que l’état de son allié lui enlevait tout espoir.

Par contre, il en était un autre qui ne désarmait pas. Sirk devenait de jour en jour plus audacieux. Avec Graziella, il en arrivait à la menace directe et commençait à s’attaquer, bien qu’avec plus de prudence, à Halg lui-même. Vers la fin du mois de décembre, le jeune homme, en croisant le triste personnage, l’entendit proférer des paroles injurieuses qui étaient indubitablement à son adresse. Quelques jours plus tard, il regagnait la rive gauche de la rivière, quand, partie de l’abri d’une maison, une pierre lancée avec violence passa à quelques centimètres de son visage.

De cette agression, dont il avait reconnu l’auteur, Halg, imbu des idées du Kaw-djer, ne chercha pas à tirer vengeance. Il ne releva pas, davantage, les jours suivants, les provocations incessantes de son adversaire. Mais Sirk, enhardi par l’impunité, ne devait pas tarder à le pousser à bout et à le mettre dans l’obligation de se défendre.

Si Lazare Ceroni, sauvé de l’ennui par son abrutissement, ne