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de ce blanc, qui venait de prouver son adresse par un si brillant coup de fusil. Bien musclé, larges épaules, torse puissant, grosse tête carrée portée sur un cou robuste, taille de cinq pieds, très brun de peau, très noir de cheveux, des yeux perçants sous une arcade sourcilière peu fournie, barbe réduite à quelques poils, tel était l’homme, qui paraissait avoir dépassé la quarantaine. Les caractères de l’animalité, mais d’une animalité douce et caressante, le disputaient à ceux de l’humanité, chez cet être de race inférieure, qu’on eût été tenté de comparer, plutôt qu’à un fauve, à un bon et fidèle chien, à l’un de ces courageux terre-neuve, qui peuvent devenir le compagnon, mieux que le compagnon, l’ami de leur maître. Et ce fut bien comme un de ces dévoués animaux qu’il accourut à l’appel de son nom.

Quant au jeune garçon, son fils selon toute apparence, dont le corps souple comme celui d’un serpent était entièrement nu, il semblait très supérieur à son père au point de vue intellectuel. Son front plus développé, ses yeux pleins de feu, exprimaient l’intelligence et, ce qui vaut mieux encore, la droiture et la franchise.

Lorsque les trois personnages furent réunis, les deux hommes échangèrent quelques mots dans ce langage indigène caractérisé par une aspiration courte à la moitié de la plupart des mots, puis tous se dirigèrent vers le blessé, qui gisait sur le sol près du jaguar abattu.

Le malheureux avait perdu connaissance. Le sang coulait de sa poitrine labourée par les griffes de la bête féroce. Cependant, ses yeux fermés se rouvrirent lorsqu’il sentit une main écarter son grossier vêtement.

En apercevant celui qui venait à son secours son regard s’éclaira d’une faible lueur de joie, et ses lèvres décolorées murmurèrent un nom :

« Le Kaw-djer !… »

Le Kaw-djer, un mot qui signifie l’ami, le bienfaiteur, le sauveur, en langue indigène, et ce beau nom appartenait évidemment à ce blanc, car celui-ci fit un signe affirmatif.

Pendant qu’il donnait les premiers soins au blessé, Karroly redescendit par la coupée de la falaise pour revenir bientôt avec un carnier renfermant une trousse et quelques flacons pleins du suc de certaines plantes du pays. Tandis que l’Indien soutenait sur ses genoux la tête du blessé, dont la poitrine était à décou-