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VII

la première enfance d’un peuple.


Le lendemain, à la première heure, l’aviso quitta son mouillage et disparut en quelques instants derrière la pointe. Il emmenait dix des quinze marins survivants du Jonathan. Les cinq autres, parmi lesquels Kennedy, avaient préféré, ainsi que le maître d’équipage Hartlepool et le cuisinier Sirdey, rester sur l’île en qualité de colons.

Des motifs analogues avaient décidé Kennedy et Sirdey à s’arrêter à ce parti. Tous deux fort mal vus des capitaines, et par suite trouvant difficilement des engagements, ils espéraient avoir vie plus facile et moins précaire dans une société naissante, où les lois, pendant longtemps tout au moins, manqueraient nécessairement de rigueur. Quant à leurs camarades, braves gens énergiques et sérieux, mais pauvres et sans famille, ils escomptaient, comme Hartlepool lui-même, la possibilité d’être leur maître dans un pays neuf en devenant, de marins hauturiers, simples pêcheurs.

La réalisation ou l’échec de leur rêve allait en grande partie dépendre de l’orientation qui serait donnée au gouvernement de l’île. Quand l’État est bien administré, les citoyens ont chance de s’enrichir par leur travail. Tout labeur restera stérile, au contraire, si le pouvoir central ne sait pas découvrir et appliquer les mesures propres à grouper en faisceau les efforts individuels. L’organisation de la colonie était donc d’un intérêt capital.

Pour le moment, tout au moins, les Hosteliens — car tel était le nom qu’ils avaient adopté d’un consentement unanime — ne s’inquiétaient pas de résoudre ce problème vital. Ils ne pensaient qu’à se réjouir. Ce mot magique, la liberté, les avait enivrés. Ils