Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conseils eussent été le plus précieux, désempara les émigrants. Leur foule se désagrégea peu à peu, si bien que le commandant de l’aviso finit par demeurer presque seul. L’un après l’autre, afin de n’être pas dans le cas de participer à une décision quelconque, ils s’éloignaient discrètement par petits groupes, où l’on échangeait des paroles rares sur l’offre surprenante dont on venait de recevoir la communication.

Pendant huit jours cette offre fut le sujet de toutes les conversations particulières. Le sentiment général, c’était la surprise. La proposition semblait même si étrange que nombre d’émigrants se refusaient à la prendre au sérieux. Harry Rhodes, sollicité par ses compagnons, dut aller trouver le commandant pour lui demander des explications, vérifier les pouvoirs dont il était porteur, s’assurer par lui-même que l’indépendance de l’île Hoste serait garantie par la République Chilienne.

Le commandant ne négligea rien pour convaincre les intéressés. Il leur fit comprendre quels étaient les mobiles du gouvernement et combien il était avantageux pour des émigrants de se fixer dans une région dont on leur assurait la possession. Il ne manqua pas de leur rappeler la prospérité de Punta-Arenas et d’ajouter que le Chili aurait à cœur de venir en aide à la nouvelle colonie.

« L’acte de donation est prêt, ajouta le commandant. Il n’attend plus que les signatures.

— Lesquelles ? demanda Harry Rhodes.

— Celles des délégués choisis par les émigrants en assemblée générale. »

C’était, en effet, la seule manière de procéder. Plus tard, lorsque la colonie s’occuperait de son organisation, elle déciderait s’il lui convenait ou non de nommer un chef. Elle choisirait en toute liberté le régime qui lui paraîtrait le meilleur, et le Chili n’interviendrait dans ce choix en aucune façon.

Pour qu’on ne soit pas étonné des suites que cette proposition allait voir, il convient de se rendre un compte exact de la situation.

Quels étaient ces passagers que le Jonathan avait pris à San Francisco et qu’il transportait à la baie de Lagoa ? De pauvres gens que les nécessités de l’existence forçaient à s’expatrier. Que leur importait, en somme, de s’établir ici ou là, du moment