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Trois quarts d’heure plus tard, au milieu de l’obscurité devenue profonde, un bruit de chaînes grinçant contre le fer des écubiers indiqua que le navire venait de mouiller. La foule alors se dispersa, chacun regagnant sa demeure en commentant l’événement.

La nuit s’écoula sans incident. À l’aube, on aperçut le navire à trois encablures du rivage. Hartlepool consulté déclara que c’était un aviso de la marine militaire chilienne.

Hartlepool ne se trompait pas. Il s’agissait bien d’un aviso chilien, dont, à huit heures du matin, le commandant se fit mettre à terre.

Il fut aussitôt entouré de visages anxieux. Autour de lui, les questions se croisèrent. Pourquoi avait-on envoyé un bateau si petit ? Quand viendrait-on enfin les chercher ? Ou bien, est-ce donc qu’on avait l’intention de les laisser mourir sur l’île Hoste ? Le commandant ne savait auquel entendre.

Sans répondre à cet ouragan de questions, il attendit une accalmie, puis, quand il eut obtenu le silence à grand-peine, il prit la parole d’une voix qui parvint aux oreilles de tous.

Ses premiers mots furent pour rassurer ses auditeurs. Ceux-ci pouvaient compter sur la bienveillance du Chili. La présence de l’aviso prouvait d’ailleurs qu’on ne les avait pas oubliés.

Il expliqua ensuite que, si son gouvernement avait cru devoir leur envoyer un bâtiment de guerre au lieu du navire de rapatriement promis, c’est qu’il désirait leur soumettre auparavant une proposition qui serait probablement de nature à les séduire, proposition en vérité très singulière et des plus inattendues, que le commandant exposa sans autre préambule.

Mais, pour le lecteur, un préambule ne sera peut-être pas superflu, afin qu’il puisse sainement apprécier la pensée du gouvernement chilien.

Dans la mise en valeur de la partie ouest et sud de la Magellanie que lui attribuait le traité du 17 janvier 1881, le Chili avait voulu débuter par un coup de maître, en profitant du naufrage du Jonathan et de la présence sur l’île Hoste de plusieurs centaines d’émigrants.

Ce traité n’avait départagé en somme que des droits purement théoriques. Assurément la République Argentine n’avait plus rien à réclamer, en dehors de la Terre des États et de la fraction