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sines de celles qu’il professait lui-même avec tant de passion. Remédier à cette tyrannie ? À quel titre l’aurait-il fait ? De quel droit eût-il soulevé un conflit, en protégeant proprio motu des gens qui n’appelaient même pas au secours, contre d’autres hommes, leurs pareils après tout ?

Au surplus, il avait assez de préoccupations personnelles pour perdre de vue celles des autres. Plus l’hiver avançait, plus les malades devenaient nombreux. Il ne suffisait plus à la tâche. Le 18 juin, il y eut un décès, celui d’un enfant de cinq ans emporté par une broncho-pneumonie qu’aucune médication ne put enrayer. C’était le troisième cadavre que, depuis l’atterrissage, recevait le sol de l’île Hoste.

L’état d’esprit de Halg donnait aussi beaucoup de souci au Kaw-djer. Celui-ci lisait comme dans un livre dans l’âme ingénue du jeune Fuégien, et il devinait le trouble croissant de son cœur.

Comment cela finirait-il, lorsque cette foule s’éloignerait à jamais de la Magellanie ? Halg ne voudrait-il pas suivre Graziella et n’irait-il pas mourir au loin de chagrin et de misère ?

Ce 18 juin précisément, Halg revint plus soucieux que l’ordinaire de sa visite quotidienne à la famille Ceroni. Le Kaw-djer n’eut pas besoin de le questionner pour en connaître les motifs. Spontanément, Halg lui confia que, la veille, après son départ, Lazare Ceroni s’était de nouveau enivré. Comme de coutume, il en était résulté une scène terrible, heureusement moins violente que la précédente.

Cela donna à penser au Kaw-djer. Puisque Ceroni s’était enivré, c’est donc qu’il avait eu de l’alcool à sa disposition. Le matériel provenant du Jonathan n’était-il plus gardé par les hommes de l’équipage ?

Hartlepool, interrogé, déclara n’y rien comprendre et l’assura que la surveillance ne s’était pas relâchée. Toutefois, le fait étant indéniable, il promit de redoubler d’attention afin d’en éviter le retour.

Ce fut le 24 juin, trois jours après le solstice, que survint le premier incident de quelque importance, non par lui-même, mais par les conséquences indirectes qu’il devait avoir dans l’avenir. Ce jour-là, il faisait beau. Une légère brise du Sud avait déblayé le ciel, et le sol était durci par un froid sec de quatre à cinq degrés centigrades. Attirés par les pâles rayons du soleil