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Sur le point de réaliser son projet, il en avait fait confidence à Gimelli, à Gordon et à Ivanoff, avec lesquels il s’était lié sur le Jonathan. Ceux-ci avaient vivement approuvé le Franco-Canadien, en déplorant de ne pouvoir l’imiter pour leur compte. Toutefois, une idée en appelant une autre, un projet similaire leur vint bientôt à l’esprit. Pendant l’excursion faite en compagnie du Kaw-djer, il leur avait été possible d’apprécier la fertilité du sol. Pourquoi ne tenteraient-ils pas, l’un un essai d’élevage, les deux autres un essai de culture ? Si, au bout de six mois, le résultat paraissait devoir être favorable, rien ne les obligerait à partir. Magellanie ou Afrique, le pays dans lequel on vit importe peu, du moment qu’on n’est pas dans le sien. Si le résultat semblait, au contraire, devoir être mauvais, il n’y aurait de perdu que du travail. Mais le travail est une denrée inépuisable quand on possède de bons bras et du cœur, et mieux valait au surplus travailler six mois en pure perte que de rester si longtemps inactif. Dans le champ le plus stérile, on récolterait du moins la santé.

Ces quatre familles, pourvues d’hommes sages, de femmes sérieuses, de filles et de garçons robustes et bien portants, avaient en mains tous les atouts pour réussir là où d’autres eussent échoué. Leur décision fut donc arrêtée, et ils la mirent à exécution, avec l’approbation et le concours d’Hartlepool et du Kaw-djer.

Pendant que les émigrants s’occupaient de transporter le matériel à la baie Scotchwell, les dissidents préparèrent activement leur départ. À coups de hache, ils improvisèrent un chariot à essieux de bois et à roues pleines, très primitif assurément, mais vaste et solide. Sur ce chariot furent entassés des provisions de bouche, des semences, des graines, des instruments aratoires, des ustensiles de ménage, des armes, des munitions, tout ce qui pouvait être nécessaire en un mot au début des exploitations. Ils ne négligèrent pas d’emporter quatre ou cinq couples de volailles, et les Gordon, qui se destinaient plus particulièrement à l’élevage, y joignirent des lapins et des représentants des deux sexes des races bovine, ovine et porcine. Ainsi nantis des éléments de leur future fortune, ils s’éloignèrent vers le Nord, à la recherche d’un emplacement convenable.

Ils le rencontrèrent à douze kilomètres de la baie Scotchwell.