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— Et Graziella, s’enquit Mme Rhodes, est-elle touchée de ces efforts accomplis pour lui plaire ?

— Vous pensez que je ne le lui ai pas demandé, répliqua le Kaw-djer. Mais, à en juger par le visage joyeux de Halg, je présume que ses affaires ne vont pas mal.

— Cela ne m’étonne pas, dit Harry Rhodes, c’est un beau garçon que votre jeune compagnon.

— Physiquement, il n’est pas mal, j’en conviens, approuva le Kaw-djer avec une évidente satisfaction, mais moralement il est mieux encore. C’est un brave cœur, fidèle, bon, dévoué et intelligent, ce qui ne gâte rien.

— C’est votre élève, je crois ? demanda Mme Rhodes.

— Vous pouvez dire : mon fils, rectifia le Kaw-djer, car je l’aime comme un père. C’est pourquoi je suis affligé qu’il ait de pareilles idées, dont il ne résultera, en fin de compte, que des chagrins. »

Les suppositions du Kaw-djer n’étaient point erronées. Une sympathie naissante attirait, en effet, l’un vers l’autre, le jeune Fuégien et Graziella. Dès la première minute où il l’avait aperçue, toutes les pensées de Halg étaient allées vers elle, et, depuis lors, il n’avait pas laissé passer un jour sans la voir. Témoin de la scène qui avait motivé l’intervention du Kaw-djer, il connaissait la plaie de la famille, et, avec l’adresse ordinaire des amoureux, il tirait parti sans scrupule de la situation. Sous prétexte de s’enquérir des besoins des deux femmes et de veiller sur leur sécurité, il restait près d’elles de longues heures, l’anglais que tous parlaient couramment leur permettant d’échanger leurs pensées.

Halg, à cet égard comme aux autres, ne ressemblait en rien à ses compatriotes si étonnamment réfractaires à l’étude des langues. Lui, au contraire, avait appris sans peine l’anglais et le français, et maintenant, excellent prétexte pour fréquenter assidûment la famille Ceroni, il était en train de faire en italien de merveilleux progrès sous la direction de Graziella.

Celle-ci n’avait pas eu de peine à discerner les causes de cette ardeur au travail, mais les sentiments qu’elle inspirait au jeune Indien l’avaient d’abord plus amusée que charmée. Halg, avec ses longs cheveux plats, ses tempes étroites, son nez légèrement épaté, son teint un peu bistré, lui faisait l’effet d’être d’une autre